Une petite vingtaine de minutes ont donc suffi à pousser sur le bas-côté un scandale d'Etat qui menace la présidence de la République. Un Nicolas Sarkozy calme, serein, diront les aboyeurs de l'UMP, parlant de la terrasse de l'Elysée, traçant ces «perspectives» tant attendues par une majorité en déroute et parlant aux «vraies gens», comme disait feu Georges Marchais.
Des «vraies gens» qui seront sans doute désarçonnées par tant de généralités, redites et rabâchages d'un homme voulant à tout prix endosser l'habit et la posture du président : à tel point qu'il a dû assurer à plusieurs reprises de «son sang-froid», parce qu'il est «président»... Ce n'est pas seulement un exercice d'illusionniste. Sans surprise, Nicolas Sarkozy aura répondu à tout juste quatre des treize questions clés qui se posent à propos de cette affaire tentaculaire et sans précédent qu'est le scandale Bettencourt.
Nous avions listé ces questions dès lundi matin: non pas des questions polémiques mais des interrogations factuelles, précises, sur les différents volets d'une affaire où se croisent fraude fiscale, financements politiques, pressions sur la justice, manipulations d'enquêtes, conflit d'intérêts et fusion du monde de l'argent et de la politique (nos treize questions sont à lire ici).
Nicolas Sarkozy a pu ne pas répondre car il a su s'assurer depuis bientôt dix ans – dans les ministères puis à l'Elysée – d'un contrôle total des services de l'Etat. Le rapport du chef de l'inspection générale des finances aura permis de «laver de tout soupçon» Eric Woerth. «C'est réglé, il est parfaitement innocent», a souligné le président. Avec les enquêtes préliminaires menées par le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, «la vérité se fait jour après jour». Et le président en connaît le résultat: «Les témoignages s'effondrent les uns après les autres.»
Tout l'archaïsme et la dangerosité de cette hyperprésidence sont là: la quasi-privatisation des services de l'Etat (administration fiscale, police, justice... et jusqu'à l'audiovisuel public !) peut autoriser Nicolas Sarkozy à s'émanciper de toute réponse argumentée. La puissance élyséenne se suffit à elle-même dans le mépris de tous les contre-pouvoirs et de tous les devoirs de «rendre compte» aux citoyens.
Cet aveuglement démocratique, qui permet de balayer d'un revers de main trois semaines de crise politique majeure, agrandit un peu plus la fracture grandissante entre des électeurs et des élites qui, hors du jour du vote, s'estiment en état d'impunité absolue. La «fabrique du populisme» était dénoncée depuis des jours par l'UMP pour tenir en laisse la presse. C'est au contraire cette stratégie du déni et du refus d'un débat démocratique pluraliste qui alimente les extrêmes et jette du charbon dans la chaudière du Front national.
Le procureur en service commandé
Tout a été dit des insuffisances, silences et failles du rapport de l'Inspection générale des finances. L'instrumentalisation de ce corps d'Etat, sous tutelle directe de l'exécutif et du ministère de l'économie et des finances, rendait par avance l'exercice ridicule. Et quelques petites pierres dans ce rapport le disent implicitement: comme ces rencontres notées, par exemple, entre Patrice de Maistre, gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt, et le ministre Woerth, sa cellule fiscale et son cabinet. Plus grave est le fait qu'un tel corps de hauts fonctionnaires se prête à ce lamentable jeu de cache-cache où l'essentiel se joue non dans ce qui est écrit, mais dans ce qui est tu.
La même instrumentalisation est en cours au parquet de Nanterre, où le procureur Philippe Courroye est en train de boucler les trois enquêtes préliminaires au risque de provoquer maintenant un scandale judiciaire. Car il faut redire que ce procureur, longuement cité dans les enregistrements clandestins pour ces liens avec l'Elysée, pour son engagement en faveur d'une partie – en l'occurrence Liliane Bettencourt – est aujourd'hui chargé de «nettoyer» les dossiers révélés.
Il le dit d'ailleurs sans grande précaution au journal Le Monde daté du 13 juillet. Y a-t-il seulement matière à enquête, quand ce proche de Sarkozy estime que «ces enregistrements clandestins posent un immense problème de principe. Une borne a été franchie»? Le procureur efface ainsi la jurisprudence constante de la Cour de cassation, de la Cour européenne des droits de l'homme. Nous le renvoyons aux attendus du tribunal correctionnel de Paris qui a jugé légitimes la publication et l'utilisation de tels enregistrements vu la gravité et le «caractère d'intérêt public» des faits ainsi révélés.
Une autre enquête ouverte par le procureur vise à détruire méthodiquement les témoignages de l'ex-comptable des Bettencourt, Claire Thibout, sur des faits présumés de financements politiques illégaux. Entendue comme témoin, sans avocat et au mépris des droits élémentaires de la défense ou du contradictoire, Claire Thibout «n'a jamais tenu à Mediapart un certain nombre de propos qu'on lui a prêtés». Son avocat disait pourtant l'inverse le lendemain matin de cet interrogatoire, nous maintenons l'intégralité des propos rapportés et reviendrons demain de manière détaillée sur ce témoignage.
Mais le scandale est là : dans la toute-puissance d'un magistrat concentrant tous les pouvoirs d'enquête et soumis hiérarchiquement à l'exécutif, en supposant qu'il ne le soit pas politiquement à la présidence.
Le contenu des enregistrements ? Balayé.
Le chèque qu'aurait signé Liliane Bettencourt à Nicolas Sarkozy ? Ecarté.
Les 150.000 euros demandés à la comptable début 2007 pour financer la campagne présidentielle ? Pas évoqué.
Le système d'enveloppes d'argent liquide aux politiques et à l'ancien maire de Neuilly ? «Une honte» de l'imaginer.
Les interventions d'un conseiller de l'Elysée dans la procédure opposant Liliane Bettencourt à sa fille ? Pas évoquées.
Les 30 millions d'euros reversés au titre du bouclier fiscal à Mme Bettencourt ? «Laissez cela à d'autres».
C'est ce que peut se permettre Nicolas Sarkozy. Campé dans cette forteresse élyséenne qui, comme pour Jacques Chirac, comme pour François Mitterrand avant lui, autorise la pleine irresponsabilité du président.
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