Si la dénégation en bloc pouvait passer, le mensonge semble avoir plus de mal. Et une question se pose aujourd'hui, à quelques jours du début des débats (et des manifestations) sur la réforme des retraites, mardi 7 septembre prochain: la confirmation ce jeudi par Eric Woerth lui-même des révélations de L'Express vont-elles changer la donne politique?
Après avoir admis qu'il a adressé un courrier à Nicolas Sarkozy, afin de demander la Légion d'honneur pour Patrice de Maistre (ce qu'il avait jusqu'ici nié), la question du maintien au gouvernement de l'actuel ministre du travail se pose désormais à gauche. Et dans l'exécutif, on a pu noter un net flottement avant que ne soit décidé, jeudi soir, de soutenir une fois encore et jusqu'au bout le ministre du travail.
Car comme le raconte Le Parisien, le nom de l'ancien trésorier de l'UMP n'avait pas été cité par Nicolas Sarkozy lors du conseil des ministres de mercredi, quand le président de la République évoquait le dossier des retraites. Quant au premier ministre François Fillon, en déplacement dans l'Yonne pour la rentrée scolaire jeudi matin, il a affirmé que «le ministre en charge» de la réforme des retraites «ira la défendre devant le Parlement», sans pour autant affirmer que ce ministre serait Eric Woerth (voir la vidéo).
Refusant d'évoquer les derniers rebondissements de l'affaire «sur ce sujet-là, ici dans une cour d'école», François Fillon n'en a pas moins été réquisitionné pour monter en première ligne chez Arlette Chabot sur France 2, le 9 septembre prochain, pour l'émission télévisée «A vous de juger», consacrée à la réforme des retraites. A l'origine, seul Eric Woerth était convié à l'antenne. Désormais, s'il est maintenu dans la programmation, le ministre du travail semble ne plus occuper la fonction d'invité principal (malgré nos relances, la chaîne n'a pas répondu à nos questions).
Il a finalement fallu attendre la toute fin de journée de jeudi pour qu'un communiqué de Matignon fasse état d'une rencontre entre le premier ministre et Eric Woerth dans l'après-midi. «Le premier ministre tient, à cette occasion, à redire toute sa confiance à Eric Woerth qui fait face à une campagne de dénigrement inacceptable. Eric Woerth mènera à son terme au Parlement cette réforme des retraites qu'il a entreprise.» L'UMP embrayait, criant «à la chasse à l'homme» et à une «entreprise de déstabilisation» orchestrée par l'opposition.
Car à gauche, un frémissement se fait sentir chez ceux qui jusqu'ici serraient le frein à main. Au PS, si Martine Aubry a réaffirmé sa demande («toujours la même, un juge d'instruction indépendant»), de plus en plus de voix appelant à la démission de Woerth se font entendre. D'abord les francs-tireurs, pourtant prêts à le défendre au début de l'affaire, comme Julien Dray (ici) ou Manuel Valls (là). Puis le député Bruno Leroux, proche de François Hollande, estimant sur France Info le ministre «au bout d'un système de défense à bout de souffle, qui est celui de la dénégation» et lui enjoignant de «se mettre en retrait de ses responsabilités politiques». Jusqu'à Claude Bartolone, membre de la direction socialiste, jeudi sur LCI: «C'est un ministre qui a menti à un moment où il y a une affaire qui est déjà très compliquée (…) Cela le disqualifie ne serait-ce que pour tenir un discours de vérité aux Français sur la question des retraites.»
L'un de ses comparses de Solférino, le sénateur David Assouline, a quant à lui réaffirmé la volonté (pas si évidente au sortir de l'été) pour les socialistes de demander une commission d'enquête parlementaire sur l'affaire Woerth/Bettencourt/Sarkozy (voir la vidéo).
Du côté du PCF, le ton semble également avoir changé. Après avoir affirmé ne vouloir s'intéresser qu'aux retraites, plutôt que de «batifoler» sur l'affaire Woerth (selon le terme du président du groupe communiste à l'Assemblée Roland Muzeau, il y a deux mois), le secrétaire national du parti, Pierre Laurent, a exprimé son changement de cap ce jeudi, dans un communiqué: «Il y a désormais un mensonge avéré (…) Cette situation n'a que trop duré. D'un côté on invoque à grands coups de menton sécuritaires l'esprit de sacrifice des Français pour leur faire passer au forceps une succession de réformes toujours plus injustes et, de l'autre, c'est la plus parfaite collusion qu'on observe entre ce gouvernement de droite et les milieux financiers.» Et le patron de la place du Colonel-Fabien de citer un ancien président américain (républicain): «“On ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps”, disait Abraham Lincoln. Nous y sommes.»
Dernier bastion de l'indifférence aux affaires, par rapport à la réforme des retraites, les syndicats semblent également lâcher le soldat Woerth. Dans un entretien commun aux Echos de ce vendredi, les secrétaires confédéraux de la CGT et de la CFDT, Bernard Thibault et François Chérèque, reconnaissent l'évidence. Le premier estime qu'«Eric Woerth est objectivement plus occupé, et préoccupé, par autre chose que par le sujet qui, nous, nous intéresse». Le second se pose «une question légitime: comment peut-il gérer en même temps ses problèmes personnels avec l'affaire Bettencourt et la réforme des retraites? Cette situation fait qu'on n'aborde plus du tout le fond du dossier. C'est un vrai problème».
Dans la matinée de jeudi, Eric Woerth avait salué «la grande élégance» des syndicats à son égard. Visiblement, elle s'efface devant le principe de réalité.
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