Il arrive que le sang-froid des avocats bouille au point de ne faire qu'un tour. L'affaire Bettencourt-Woerth-Sarkozy, qui déchire une famille neuilléenne et sape l'UMP, fracasse de surcroît le barreau de Paris. Mercredi 15 septembre, Me Olivier Metzner, conseil de Françoise Bettencourt-Meyers, assignait en diffamation Me Georges Kiejman, qui défend les intérêts de Liliane Bettencourt.
La XVIIe chambre du palais de justice, chargée des affaires de presse, avait à examiner des propos tenus en juin au Journal du dimanche et à l'AFP par Me Kiejman, accusant Me Metzner d'être «le cerveau» d'un «complot organisé de longue date». Il ajoutait: «Si la justice a un peu de courage, elle traînera Olivier Metzner devant le tribunal correctionnel comme auteur du délit de divulgation de documents enregistrés clandestinement. Il ne fera croire à personne que ce n'est pas lui qui a distribué les extraits d'enregistrements à ses poissons pilotes habituels dans la presse.»
Les prises de son du majordome de Liliane Bettencourt s'avèrent une première dans la vie judiciaire française. De plus, ces enregistrements révèlent des conciliabules d'avocats, en principe couverts par le secret professionnel. En découle une autre première: un maître en traîne un autre en justice. Georges Kiejman n'a jamais connu semblable occurrence en cinquante-sept ans de carrière.
À 78 ans, il garde une allure de Clemenceau qui se déploierait vers le ciel. Et, tel Louis Jouvet face à Charles Dullin dans Volpone, il joue avec insistance de sa supériorité physique voire intellectuelle à l'encontre de son puîné qui l'horripile: Olivier Metzner, 60 ans. Celui-ci affiche la brutalité bonhomme d'un Michel Charasse, cigare vissé aux lèvres, bésicles flanquées au bout du nez.
L'inimitié entre ces deux vedettes du palais n'est pas seulement due aux cruautés de la vie, qui voit se croiser des carrières – l'ascension de l'une renvoyant au déclin de l'autre. Demeurent, certes, les traces ineffaçables des logomachies du tribunal de Vilnius en 2004, quand Me Metzner, qui défendait Bertrand Cantat, s'en prenait à «l'hystérie» de la victime de son client, Marie Trintignant, dont la mère endeuillée s'appuyait sur Me Kiejman.
Mais quand celui-ci, au tribunal de Nanterre, le 1er juillet dernier, à l'ouverture du procès Banier, menace son confrère d'un «revers du gauche», ce ne sont pas les comptes lituaniens qui se soldent. Les deux avocats sont pris dans un maelstrom de violence qui chambarde jusqu'au sommet de l'État, quand il ne procède pas de lui. Dans l'affaire Bettencourt, tous les coups sont permis, des carrières sont et seront ruinées; il y aura du sang sur les murs, beaucoup craignant que l'expression ne soit un jour prise au pied de la lettre.
Chaque camp cherche à discréditer l'autre, à commencer par ses avocats. On essaie de séparer l'austère Françoise Bettencourt, si peu gauchisante, de ce trublion d'Olivier Metzner accusé d'avoir mis le feu à la droite française. On tâche d'écarter de la défense de Liliane Bettencourt un Georges Kiejman tenté de faire le ménage parmi ceux qui le firent entrer dans la place. Le champ judiciaire est semé de mines antipersonnel à fragmentation.
«Il va me tuer!»
Dans un tel contexte, le combat de grands fauves à robes noires du 15 septembre tient à la fois du spectacle et de la survie. Invités à s'exprimer par une présidente du tribunal qui boit sobrement du petit lait, les deux sommités jouent chacune leur partition. Me Metzner, indigné mais sans effet de manche, estime que son confrère s'est livré à des excès inadmissibles en l'accusant d'avoir orchestré des enregistrements clandestins réalisés par un majordome qu'il ne connaît toujours pas.
Il a reçu le 17 mai, affirme-t-il, un appel de sa cliente qui venait de réceptionner ces enregistrements spontanément réalisés pour témoigner de la claustration d'une Liliane Bettencourt victime de spoliations. Plutôt que d'encourager Françoise Bettencourt-Meyers à la destruction de preuve, ce qui constitue un délit pénal, son conseil l'a incitée à remettre les documents sonores à la police, ce qui fut fait le 11 juin, soit cinq jours avant leur publication par Mediapart. Ces documents furent communiqués à Me Kiejman, qui ne les a point retournés. Me Metzner peut donc affirmer: «J'ai joué la transparence et le contradictoire.»
L'avocat poursuit en ironisant sur les fuites vers la presse qui relèvent de sources inattendues, jusqu'à la chancellerie, comme le prouve l'actualité récente. Puis il assure n'avoir rien effacé des enregistrements, contrairement à une accusation formulée par Me Kiejman dans les interviews incriminées. Me Metzner, faisant référence à des passages non rendus publics captés par le dictaphone du majordome, révèle qu'il n'a pas touché, par exemple, aux propos fielleux que tient à son endroit, juste avant de persifler la présidente du tribunal de Nanterre, Me Kiejman dans le bureau de Liliane Bettencourt...
Comme piqué au vif par l'évocation de ses propos volés, Georges Kiejman surjoue l'accablement furibard à l'encontre de son confrère, criant à l'inexactitude et lançant un «il va me tuer!», auquel succédera un «je suis trop vieux pour supporter tout cela!».
Le géronte du barreau prend la parole en excipant de bout en bout de son grand âge, évoquant les fantômes du palais, ces plaideurs hors de pair, tels Moro-Giafferi, Torrès, Floriot, ou Garçon, qu'il contempla dans leurs œuvres oratoires. Le voici qui rapetisse Olivier Metzner, le ravalant avec un mépris coriace au rang de tâcheron procédurier, qui sut d'abord et avant tout faire profiter la pègre de sa science des vices de forme, dès 1983, à l'aube de sa notoriété un rien usurpée...
Puis Georges Kiejman tresse des lauriers amourachés à sa cliente, Liliane Bettencourt, qui serait «sortie de son carrosse et pendue si nous étions en 1789». Inaudible aujourd'hui «parce qu'elle est riche et vieille» dans une France qui souffre et où les quinquagénaires attendent parfois avec impatience d'hériter, la milliardaire aurait donc enfin trouvé son bâton de vieillesse, en la personne de son avocat qui n'a que dix ans de moins qu'elle...
Combatif et convaincant, Me Kiejman s'attache à montrer que dans un entretien publié par Le Nouvel Observateur le 10 juin dernier, Me Metzner annonçait un document explosif qui rallierait les Français à la fille Bettencourt. Or l'article mentionne le départ vers Paris d'un client sulfureux de Me Metzner, le général Noriega, ancien dictateur panaméen extradé des Etats-Unis le 26 avril. C'est donc bien la preuve, aux yeux de Me Kiejman, que Metzner était au courant des enregistrements clandestins bien avant le 17 mai, contrairement à ce qu'il déclare.
Olivier Metzner casse alors l'effet de son contempteur: il précise que ce prétendu entretien était un portrait, que le journaliste du Nouvel Observateur l'avait par quatre fois contacté pour ce faire et que si une rencontre avait bien eu lieu le 26 avril, un document explosif avait forcément été mentionné plus tard, lors d'un échange dans la seconde quinzaine de mai, après qu'il avait donc pris connaissance d'enregistrements au grand jamais fomentés.
«Je suis choqué que l'on qualifie de complot des informations»
Dans sa (trop) longue plaidoirie, le conseil de Georges Kiejman, Me Richard Malka, devait ensuite s'appuyer sur un éditorial de Sylvie Kauffmann, directrice de la rédaction du Monde (13 juillet 2010), justifiant la non-publication des enregistrements pirates du majordome par le quotidien du soir. Mais en ne protégeant guère une source ainsi pointée: «Qui a décidé du moment de la publication des écoutes? Ce ne sont pas les médias, mais l'avocat Olivier Metzner. Lorsqu'il propose ce “document explosif” aux médias deux semaines avant l'ouverture du procès Bettencourt, il a la maîtrise du calendrier et du message. Il sait, lui, quel est le moment qui convient le mieux à son propre calendrier d'avocat de Françoise Bettencourt-Meyers.»
Convoqué comme témoin par Me Malka, Edwy Plenel, PDG de Mediapart, s'était peu avant refusé, pour sa part, à prononcer la moindre parole qui pût désigner, d'une façon ou d'une autre, la provenance des enregistrements clandestins: «La loi fait du secret des sources non pas un privilège corporatiste mais un droit fondamental. Et je suis choqué que l'on qualifie de complot des informations d'intérêt public et légitime, ainsi que les a considérées la justice, en première instance puis en appel.»
Me Malka, faisant flèche de tout bois, se dissociera du reste de son client Georges Kiejman, qui tenta d'interdire, au nom de Liliane Bettencourt, la publication dans Mediapart et Le Point d'extraits choisis à bon escient des vingt et une heures d'enregistrements clandestins. Me Malka trouve en effet fondé le jugement de cette même XVIIe chambre, qui a estimé de telles publications licites. Alors, fort de cet exemple de cause perdue par Me Kiejman contre la liberté d'expression, il exhorte le tribunal à ne pas considérer comme illicite l'expression du même Georges Kiejman, quand elle vient à s'exprimer dans Le Journal du dimanche!
Me Malka rappelle même la jurisprudence sage et bienvenue de cette XVIIe Chambre. Et il entend, candidement, que puisse en bénéficier son client, taisant que celui-ci passe actuellement le plus clair de son temps à la combattre au nom de Liliane Bettencourt...
Jugement le 20 octobre à 14h30.
En sortant de ce combat de titans, une affiche attire le regard, qui promet un autre morceau de bravoure: la joute oratoire, «conférence» dans le jargon du cru, portant le nom d'un avocat que n'eut pas l'heur de connaître Me Kiejman, Berryer, défenseur de Cambronne et de Ney une fois le bonapartisme vaincu. Celle du 16 septembre 2010 à 21h, salle des criées, annonce: «1er sujet: les oiseaux se cachent-ils à Neuilly pour mourir? 2e sujet: on se tutoie?»
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