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Jeu.04 juillet 201304/07/2013 Dernière édition

Les protestations des grandes associations de magistrats

|  Par Elodie Berthaud

Le procureur Courroye est dans le collimateur des syndicats de magistrats qui lui demandent non seulement de se dessaisir de l'affaire Bettencourt mais aussi de la donner à un juge d'instruction.

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Invité de France Info vendredi matin, Dominique de Villepin a déclaré que pour connaître la vérité sur l'affaire Bettencourt il fallait trois conditions: «L'impartialité de l'Etat, une totale liberté de la presse, et d'abord, une justice indépendante.» Dès mercredi, l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) demandait publiquement au procureur de Nanterre, Philippe Courroye, de se dessaisir au profit d'un juge d'instruction.

«Quelles que puissent être les qualités de Philippe Courroye qui est un magistrat connu pour avoir fait preuve dans le passé de son impartialité, il pèse aujourd'hui sur lui de graves soupçons, explique son président, Christophe Regnard. On est plongé dans une ère de soupçon, cette ère est mortifère pour les magistrats, et mortifère aussi pour le pouvoir politique.» «Il faut que Courroye passe la main à un juge d'instruction qui pourra, lui seul, mener une instruction indépendante.»

L’Association française des magistrats instructeurs (AFMI) a emboîté le pas de l'USM, jeudi. «Le Parquet a ouvert une enquête préliminaire sur l'histoire du financement illégal de partis politiques, explique le président, Marc Trévidic. Le problème est que celui qui dirige l'enquête, le procureur de Nanterre, est sous l'autorité hiérarchique de celui qui est soupçonné avoir bénéficié du financement illégal, Nicolas Sarkozy.»

L'USM justifie aussi son appel contre Philippe Courroye par des éléments de procédure. «Un juge d'instruction enquêterait plus efficacement», estime Christophe Regnard. Il aurait davantage de pouvoirs pour enquêter à l'étranger. «Dans cette affaire, la fortune Bettencourt est aussi sur l'île d'Arros.» Mais également, en enquête préliminaire, le procureur qui veut perquisitionner doit obtenir l'accord écrit de l'intéressé, une procédure qui limite l'effet de surprise. Le juge d'instruction, lui, peut se passer de cet accord, selon le magistrat.

Les syndicats de magistrats lui demandent donc non seulement de se dessaisir mais aussi de donner l'affaire à un juge d'instruction.
«Il ne le fera pas», estime Christophe Regnard. «S'il le faisait. La prochaine réforme du code de procédure pénale qui vise à supprimer les juges d'instruction s'écroulerait. Le pouvoir a intérêt à faire croire que le parquet peut exercer de façon indépendante.» «Ça serait le chat qui se mord la queue, ironise Marc Trévidic de l'AFMI. Si Courroye se retire, ça serait la démonstration qu'il y a des cas de figure où un directeur d'enquête indépendant, un juge d'instruction, est nécessaire.»

Les premiers actes d'enquête du procureur dans le dossier Bettencourt inquiètent la profession. Ainsi, le Syndicat de la magistrature, dans un communiqué datant du 29 juin, déclare: «Non seulement il n'a pas paru s'émouvoir du fait que “sa” décision soit parvenue, avec un mois d’avance, à la connaissance du conseiller de l'Elysée, Patrick Ouart, non seulement il n’a pas annoncé l’ouverture pourtant indispensable d’une enquête sur les conditions dans lesquelles trois chèques semblent avoir été signés par Liliane Bettencourt au profit de Valérie Pécresse, Nicolas Sarkozy et Eric Woerth, mais surtout, il a immédiatement fait placer en garde à vue ceux qui, afin de démontrer la prédation dont serait victime leur employeuse, ont permis la révélation de ces manœuvres...»

Pendant ce temps au tribunal de grande instance de Nanterre, la guerre de procédure continue. La présidente de la 15e chambre, Isabelle Prévost-Desprez (une ancienne juge d'instruction qui est en mauvais termes avec Courroye) veut commencer à instruire le supplément d'information qu'elle a ordonné lors de l'ouverture du procès de François-Marie Banier début juillet. Il y aurait alors deux enquêtes menées: l'une par la magistrate du siège, Mme Prévost-Desprez, l'autre par le parquet de Nanterre, dirigé par Philippe Courroye. La cour d'appel de Versailles doit trancher sur les prérogatives de chacun, mais la date n'est pas fixée.

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