La défense des hommes politiques est souvent la même : il serait absurde de mettre en doute la légalité du financement de leur campagne électorale, puisqu’une Commission de contrôle a tout vérifié. Nicolas Sarkozy, soupçonné par le juge Gentil d’avoir bénéficié en 2007 de versements en liquide de la part de la famille Bettencourt, ne cesse de se retrancher derrière cet argument, assurant que la Commission a contrôlé «recettes et dépenses millimètre par millimètre». Nicolas Sarkozy veut sûrement dire centime par centime. Mais peu importe : le raisonnement ne peut être pris pour argent comptant.

Sans l’affaire Karachi, sans l’enquête des juges Van Ruymbeke et Le Loire, nous ne saurions toujours pas aujourd’hui que les comptes de campagne de Jacques Chirac et d’Edouard Balladur étaient truqués lors de l’élection présidentielle de 1995. Or, à l’époque, le Conseil constitutionnel avait validé ces comptes, comme l’a raconté Mediapart. Aujourd’hui, rien ne garantit que la campagne de 2012 soit plus propre ou mieux contrôlée que celles de 1995 et de 2007.
Depuis 2007, ce n’est plus le Conseil constitutionnel mais la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) qui examine les flux d’argent des candidats. Les contrôle-t-elle vraiment pour autant ? Les investigations du juge Gentil comme les révélations de Mediapart sur un éventuel financement libyen dévoilent les pouvoirs limités d’une commission tenue de se fier, en grande partie, à la bonne foi des candidats.
En écho aux investigations menées sur l’affaire Bettencourt, François Bayrou puis François Hollande ont tous deux proposé ces derniers jours d’interdire les dons des particuliers. «Pour qu'on soit sûr qu'aucun argent, y compris des particuliers, puisqu'il y en a de plus riches que d'autres, ne puisse venir troubler la transparence et la clarté de ces financements», a expliqué le candidat socialiste.
Afin d’empêcher des grandes fortunes de financer la campagne d’un candidat dans de trop grandes proportions (en espérant des contreparties), un plafond a déjà été fixé par la loi, qui limite les dons à 4 600 euros par personne (+ 7 500 euros par an à un parti politique).
Des contournements sont toutefois possibles. Un très gros contributeur du Premier Cercle (qui réunit les généreux donateurs de l’UMP) nous a avoué, sous le sceau de l’anonymat, qu’en 2007, il avait lui-même demandé à de «nombreux» proches de faire un don de 7 500 euros au parti de Nicolas Sarkozy. Et qu’il les avait ensuite remboursés, de façon non officielle. C’est tout bénéfice pour ces amis. Les dons aux formations politiques étant défiscalisés à hauteur de 66 % ! Le Canard enchaîné de la semaine dernière livre d'ailleurs un témoignage anonyme d'un cadre de l'UMP allant dans le même sens.
Depuis 1995, les entreprises n’ont plus le droit de faire de chèques aux candidats. Selon François Bayrou et François Hollande, qui n’en apportent cependant pas la preuve, des dirigeants demandent à des cadres de confiance de faire un versement. Avant de les rembourser. Interdire les dons de particuliers résoudrait peut-être les tours de passe-passe de ce genre, face auxquels la CNCCFP se montre impuissante. Cela ne garantirait pas pour autant la sincérité des comptes déposés par les candidats.
Nicolas Sarkozy a dépensé moins de 530 000 euros de sondages en 2007
Car le juge Gentil enquête sur de possibles illégalités d’une tout autre ampleur et encore plus difficilement traçables. Selon toute vraisemblance, il cherche à savoir si de l’argent a pu être versé “au noir” à des prestataires lors de la campagne de Nicolas Sarkozy.
Pas sûr qu’il trouve quoi que ce soit. Mais lui, au moins, dispose des moyens d’investigation nécessaires. Il peut perquisitionner chez les prestataires du candidat (l’imprimeur, le traiteur, le propriétaire d’une salle, etc.) pour savoir si une partie des frais a été versée sans être déclarée. Une pratique qui permet au candidat de ne pas dépasser les plafonds de dépenses autorisés par la loi. Et de ne pas avoir à justifier l’origine des fonds.
C’est exactement ce type d’enquête, au résultat incertain, que la CNCCFP ne peut pas effectuer. Parce qu’elle n’en a ni les pouvoirs, ni les moyens. En 2007, s’agissant du compte de Nicolas Sarkozy, elle n’a fait que des remarques mineures. Côté dépenses, elle a retoqué quelque 50 000 euros correspondant à des repas servis au QG de campagne mais sans caractère électoral, 3 000 euros pour le détour fait par un avion afin d'embarquer une personnalité politique, 23 000 euros de frais de maquillage jugés excessifs.
Côté recettes, elle a tiqué sur trois dons ayant dépassé le seuil des 7 500 euros. Et au bout du compte, seulement retranché 13 800 euros du montant remboursé par l’Etat. Voilà qui permet à la Commission de rappeler qu’elle existe.
Car pour le reste, la CNCCFP se base essentiellement sur ce qu’elle voit : des factures et des devis présentés en bon ordre par les candidats. Elle peut constater, au vu des articles de presse ou grâce à des émissaires envoyés sur le terrain (la commission ne précise pas combien d’“inspecteurs” se déplacent au cours d’une campagne), que le prix d’une location de salle n’apparaît pas dans les comptes. Ou qu’aucune facture de traiteur n’apparaît pour tel ou tel banquet de campagne. Mais de telles “omissions” sont improbables, pour ne pas dire plus, de la part des candidats.
En revanche, comment pourrait-elle savoir si un candidat s’est offert sous le manteau un sondage ou des conseils en stratégie ? Comment s’assurer que des études ne sont pas réalisées gratuitement contre des promesses de futures commandes en cas d’accession à l’Elysée ? Officiellement, rappelons que Nicolas Sarkozy a dépensé moins de 530 000 euros de sondages lors de la campagne de 2007 (contre plus de 830 000 pour sa rivale socialiste). A environ 10 000 euros le sondage de base, Nicolas Sarkoy et l’UMP n’auraient donc commandé qu’une cinquantaine d’études en cinq mois de campagne.


Presque aussi difficile à repérer : les sous-facturations, ou les sur-facturations. Comment être certain qu’un candidat de premier plan, soucieux de ne pas dépasser les plafonds, n’a pas demandé à son imprimeur de sous-facturer ses tracts ? Et complété par de l’argent liquide non officiel.
A l’inverse, un petit candidat aura plutôt la tentation de “bourrer” ses comptes. Il sait qu’il a le droit de se faire rembourser un certain montant par l’Etat : dans ces conditions, pourquoi ne pas acheter un écran plat (la commission peut difficilement arguer que cela ne sert pas pendant une campagne). Cela lui sera remboursé. Et l’écran pourra continuer de servir au parti après la campagne.
Que se passerait-il si de graves irrégularités étaient constatées ?
Dans toutes ces situations, la commission est quasiment impuissante. Elle ne peut pas attendre grand-chose des experts-comptables qui présentent les comptes des candidats ; ils sont souvent très proches des partis pour lesquels ils travaillent. L’expert-comptable du compte Sarkozy de 2007, Bernard Godet, a même été décoré le 13 juillet 2008 de la Légion d'honneur sur le contingent du ministre du budget d'alors, Eric Woerth.
La Commission ne peut pas compter les petits fours, ni le nombre de tracts distribués à travers la France, ni éplucher les comptes des prestataires, ni placer des hommes à la frontière suisse afin qu’ils ouvrent les coffres des voitures. Elle ne peut pas plus contrôler l’origine ou le montant des dons en liquide versés dans des urnes lors des meetings, qui sont censés ne pas dépasser 150 euros, sans qu’aucun reçu ne soit délivré en échange.
Les deux rapporteurs missionnés pour chaque candidat (épaulés par quelques chargés de mission) ont déjà bien assez à faire avec les 27 cartons de factures livrés par exemple par l’équipe Sarkozy en 2007.
Il faudrait qu’un candidat sorte complètement des clous pour que les rapporteurs s’en aperçoivent, et qu’ils en fassent la remarque. Mais quel sort serait réservé à leurs observations ? Le même qu’à celui des rapporteurs du Conseil constitutionnel en 1995 ?

A l’époque, Roland Dumas, son président, avait jugé que malgré les irrégularités du compte Chirac, le Conseil ne pouvait rendre ces observations publiques et ainsi ternir la victoire d’un président choisi par une majorité d’électeurs français. Si le Conseil constitutionnel n’avait pas l’autorité nécessaire, que dire de la Commission nationale des comptes de campagne, dont personne ou presque ne connaît l’existence ?
Si l'on va plus loin, quelle est la logique d’un contrôle postérieur à l’élection présidentielle, dès lors qu'on considère comme trop “dangereux” de salir le nouveau président ?
Le président de la Commision, François Logerot, ancien président de la Cour des comptes, est un homme discret. Il ne se plaint pas publiquement des trop faibles moyens dont dispose sa commission. Sauf quand il s’agit de répondre aux questions des journalistes. Mediapart a mis plus d’un an avant de pouvoir consulter les comptes de campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy alors que nous en avons fait la demande à l’été 2010, au moment de l’affaire Bettencourt, quand il nous est apparu que les lois du début des années 1990 n’avaient nullement résolu la question du financement de la vie politique.
La commission nous a expliqué qu’au vu de ses faibles effectifs, elle ne pouvait aller plus vite pour rendre illisibles les données personnelles des candidats ou de leurs équipes apparaissant dans leurs documents. De son propre fait, elle n’avait pas entamé ce travail dès après l’élection de 2007, pour que chaque citoyen qui le désire (et qui y a droit) puisse consulter ces comptes.
Quant à ceux de François Bayrou et de Ségolène Royal, nous n’y avons eu accès qu'il y a quelques semaines, à quelques jours de l’élection présidentielle de 2012.
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