Mediapart
Jeu.04 juillet 201304/07/2013 Édition de la mi-journée

Affaire Bettencourt : intox et faux-semblants

|  Par Michel Deléan

Malgré une campagne de presse tonitruante, l'audience à huis clos devant la chambre de l'instruction de Bordeaux n'a pas tourné à l'avantage de Nicolas Sarkozy et d'Éric Woerth, tous deux mis en examen. La décision sera rendue le 24 septembre.

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Accompagnées d’une forte campagne médiatique, les demandes d’annulation de la procédure déposées par plusieurs mis en examen de l’affaire Bettencourt ont été examinées mardi 2 juillet toute la journée, à huis clos, devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux.

Au-delà des rodomontades et effets de manches de certains avocats (qui ont fait dire à l’AFP que « La défense largue un tapis de bombes sur l’enquête »), cette longue journée d’audience n’a, en fait, pas été favorable aux personnalités mises en examen, dont Nicolas Sarkozy et Éric Woerth.

Selon nos informations, l’avocat général Pierre Nalbert s’est au contraire prononcé contre la plupart des demandes d’annulation déposées. Certes, il a requis la cancellation de quelques pièces qui seraient entachées d’irrégularités procédurales, mais ce sont seulement des pièces mineures et sans effet sur la procédure : il s’agit notamment de procès-verbaux de garde à vue de Carlos Vejarano (l’ex-gestionnaire de l’île d’Arros), et d’une expertise psychologique du photographe François-Marie Banier et de son compagnon Martin d’Orgeval. Pas de quoi dynamiter le dossier.

En revanche, l’avocat général a soutenu qu’il existait des charges suffisantes pour justifier les mises en examen de l’homme d’affaires Stéphane Courbit et de l’avocat fiscaliste Pascal Wilhelm, contrairement à ce qu'ont plaidé leurs défenseurs.

Enfin, le magistrat s’est prononcé pour la validité de l’expertise médicale réalisée en juin 2011 sur Liliane Bettencourt, qui avait conclu à l’état de faiblesse de la milliardaire dès septembre 2006, et que contestaient plusieurs mis en examen dont Nicolas Sarkozy. Il s’agit d’une pièce essentielle de la procédure, puisque les conclusions de cette expertise ont rendu possible la mise en examen de celui-ci pour des faits d’abus de faiblesse qui auraient été commis pendant la campagne présidentielle de 2007. Thierry Herzog, l’avocat de Nicolas Sarkozy, n’a pas convaincu le parquet général que cette expertise était irrégulière, malgré une campagne de presse retentissante.

Les autres demandes de Me Herzog n’ont pas davantage eu l’heur de plaire à l’avocat général Nalbert. Il a considéré que la confusion entre deux versions de l'article du Code pénal réprimant l’abus de faiblesse, soulevée par le défenseur de Sarkozy pour entraîner l'annulation de sa mise en examen, n'était qu'une erreur matérielle sans conséquence.

Le magistrat a également soutenu qu’il n’y avait pas lieu d’annuler la saisie des agendas de Nicolas Sarkozy, qui ne sont protégés ni par l’immunité présidentielle ni par le secret défense, contrairement à ce qu’invoquait Thierry Herzog.

Sarkozy quittant le tribunalSarkozy quittant le tribunal© (DR)

Cette audience devant la chambre de l’instruction avait déjà dû être repoussée à deux reprises, à cause du dépôt de pièces à la dernière minute par certains des mis en examen, certainement soucieux de jouer la montre. La position du parquet général de la cour de Bordeaux, qui soutient que la procédure est régulière, avait été révélée par Mediapart le 4 juin.

Au terme de cette journée d’audience du 2 juillet, qui s'est achevée après 20 heures, la chambre de l’instruction a mis sa décision au délibéré au 24 septembre. D’ici vendredi, le président de la dite chambre doit encore se prononcer sur une ultime demande de suspension de l’instruction : elle vise à éviter que les trois juges saisis de l’affaire Bettencourt (Jean-Michel Gentil, Valérie Noël et Cécile Ramonatxo) puissent rendre leur ordonnance de renvoi devant le tribunal avant que les nullités de procédure aient été purgées. Une hypothèse très peu vraisemblable.

Selon plusieurs spécialistes du dossier, les trois juges d’instruction bordelais comptent attendre fort logiquement l’arrêt qui sera rendu le 24 septembre avant de s’atteler à la rédaction de leur ordonnance.

La réelle inconnue du dossier réside – en fait – dans le sort que les juges comptent réserver à Nicolas Sarkozy, celui des mis en examen contre lequel les charges paraissent les moins solides. Le 28 juin, le parquet de Bordeaux a requis un non-lieu en faveur de l’ex-président (mis en examen pour « abus de faiblesse »), ainsi que pour Éric Woerth (poursuivi pour « recel » et pour « trafic d'influence »).

Sur le fond, et indépendamment de la régularité de la procédure, le parquet estime qu'il n'existe pas au dossier de preuve formelle que Nicolas Sarkozy ait reçu des fonds de Liliane Bettencourt en février et avril 2007, comme plusieurs témoignages – ainsi que le rapatriement de sommes d'argent en provenance de Suisse – le laissent sérieusement penser.

À supposer que ces remises de fonds aient eu lieu, cela aurait été en présence d'André Bettencourt (décédé en novembre 2007), ce qui exclurait tout abus de faiblesse commis au préjudice de son épouse, selon l'analyse juridique du parquet de Bordeaux.

Reste que les juges d'instruction ne sont pas tenus de suivre à la lettre ces réquisitions du parquet, et peuvent décider de renvoyer tous les mis en examen devant le tribunal correctionnel s'ils estiment les charges suffisantes. On ignore, par ailleurs, si les violentes attaques publiques dont ils ont été l’objet, et qui ont échoué piteusement à les faire dessaisir devant la Cour de cassation, auront une quelconque influence sur leur décision.

Mais d'ores et déjà, des rumeurs d'avocats font état de possibles demandes en récusation qui pourraient être déposées contre les juges, devant la cour d'appel, voire d'une hypothétique plainte pour « faux en écritures » contre Jean-Michel Gentil, relative à la désignation des médecins experts. Les tentatives de déstabilisation ne sont donc pas forcément achevées.

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