Mediapart
Jeu.04 juillet 201304/07/2013 Dernière édition

A droite, le grand bazar et un moral dans les chaussettes

|  Par Marine Turchi

Christine Lagarde demande une «clarification» sur le cumul des fonctions d'Eric Woerth, Jean-François Copé élude la question, François Sauvadet «suggérerait» au ministre de démissionner et Michèle Alliot-Marie enchaîne trois erreurs à l'Assemblée nationale...

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«Pas de presse ici! Pardonnez-moi, on devient méfiants!», lance un collaborateur de l'UMP devant la salle Colbert, à l'Assemblée nationale, mardi 29 juin, pendant la réunion hebdomadaire du groupe majoritaire. «Comme il y avait deux centristes et un socialiste dans les couloirs là...», ironise-t-il. De cette réunion à huis clos des députés, seules les consignes du premier ministre François Fillon ont fuité: «Chacun doit avoir les nerfs solides» dans le cadre de l'affaire Woerth.

«Ce qui est en cause, ce n'est pas Eric Woerth, c'est le gouvernement et la majorité. Ce genre de mise en cause pourrait arriver à chacun d'entre vous», a lancé le premier ministre en présence d'Eric Woerth. «C'est une opération de déstabilisation caractérisée. On n'a rien à reprocher de précis» au ministre du travail, a martelé François Fillon, évoquant un «amalgame». «On sait qui utilise ces méthodes...», a-t-il ajouté.
Ce sont ces «éléments de langage» qu'ont récités soigneusement les députés de la majorité dans les couloirs de l'Assemblée, mardi, en trois points:
– C'est une «chasse à l'homme» et un «procès d'intention» pour «affaiblir» le ministre en charge des retraites.

– Personne ne s'est «ému» de ce cumul des fonctions avant la réforme des retraites.

– Le PS devrait lui aussi «balayer devant sa porte».

«Personne ne s'est ému (de ce cumul des fonctions) avant, et aujourd'hui, alors qu'il y a la réforme des retraites, on se réveille! Mon petit doigt me dit que si Eric Woerth n'était pas ministre en charge des retraites, on n'aurait pas cette canonnière du Yang-Tsé!», a expliqué Maurice Leroy, député Nouveau Centre du Loir-et-Cher. Un argument qui ne tient pas la route. Le 9 décembre 2009, Christian Eckert, député (PS) de Meurthe-et-Moselle, avait interpellé le ministre sur cette confusion des genres:

© (DR)

Mardi, salles des Quatre colonnes, certains députés s'emmêlaient même les pinceaux en récitant leur réplique. «Est-ce qu'on peut la refaire? Reposez-moi la question», demande Hervé Mariton, l'ex-député villepiniste, qui tentait d'expliquer que «la proposition du PS aboutit à dire qu'un ministre ne peut pas avoir de responsabilités politiques et qu'un responsable politique ne peut pas être ministre. Bref, où va-t-on aller chercher les ministres?»

«Dans la majorité, le moral est plus bas que terre, explique à Mediapart le député villepiniste, François Goulard, croisé dans les couloirs de l'Assemblée. «Ils s'épuisent à dire: “Woerth est un homme honnête.” Mais en privé ils le lâchent! Ils reviennent de leur circonscription là et ils sont très impressionnés par ce qu'il entendent», explique-t-il, citant des collègues UMP d'Alsace et de Côte d'Azur «qui disent qu'avec toutes ces affaires, l'électorat est reparti au FN». «Ils ne disent rien en public, en réunion de groupe, ils n'osent pas, c'est un sujet très touchy», ajoute l'ancien ministre de Chirac. «Il y a un dossier gros comme ça et ils disent qu'il n'y a pas de preuves! Comme si quand on était ministre du budget on n'était pas au courant du dossier Bettencourt!», s'exclame-t-il.

Pourtant le malaise était plus que perceptible, mardi, dans les rangs de la majorité. Lors de sa conférence de presse, Jean-François Copé, le patron des députés UMP, a clairement cherché à éluder la question. Interrogé sur les appels émis jusqu'au sein de la majorité, visant à interdire le cumul ministre-trésorier d'un parti, il a répondu qu'il n'avait «pas de commentaire à faire sur tout ça». Et François Sauvadet, son homologue du Nouveau Centre qui «suggérerait» à Eric Woerth de démissionner parce qu'«il faut une clarification»? Jean-François Copé semble embarrassé: «Il l'a dit en ces termes? Je n'ai pas entendu cette déclaration.»

Le député de Meaux (Seine-et-Marne) s'est contenté de rappeler qu'il avait «affiché une solidarité totale à l'égard (d'Eric Woerth)» et de dénoncer un «amalgame qui additionne et juxtapose des faits pour susciter la suspicion. Il n'y a rien de précis dans ce qu'on lui reproche». «Je ne suis pas certain que ce soit dans ce genre de moments-là qu'on doive prendre ce type de décisions», a-t-il lâché. «Ce n'est pas cette affaire-là, telle qu'elle est présentée aujourd'hui, qui est de nature à faire changer ma position, a-t-il ajouté. S'engager dans un processus de démission, c'est accréditer l'idée qu'il aurait quelque chose à se reprocher et que les journalistes feraient les gouvernements

Les erreurs de Michèle Alliot-Marie

Un peu plus tôt dans la matinée, Christine Lagarde, la ministre de l'économie, avait émis un premier bémol dans le concert de la majorité, appelant à une «clarification» de la situation dans cette affaire. «On aurait tout intérêt à clarifier ce qui constitue un conflit d'intérêts» pour éviter des polémiques, a-t-elle expliqué sur BFM TV. Tout en défendant Eric Woerth: «On a travaillé ensemble main dans la main sur les dossiers de fraude fiscale» pendant trois ans, a-t-elle dit. «Il faut des règles très précises et qui s'appliquent au statut, à la fonction, aux fonctions auxiliaires des personnes quand elles deviennent ministres ou secrétaires d'Etat pour être sûr que les choses sont claires. Il faut que ce soit validé et ensuite il faut que chacun respecte les règles», a-t-elle ajouté.

© (DR)

Dans l'après-midi, c'est la ministre de la justice, Michèle Alliot-Marie, qui a enchaîné les erreurs lors des questions au gouvernement, interrogée par l'ancienne garde des Sceaux de Lionel Jospin, Elisabeth Guigou, sur des «soupçons d'ingérence» du pouvoir. Voir les images en cliquant ici.

© (DR)


Dans sa réponse, Michèle Alliot-Marie commet une double erreur... et un aveu embarrassant:


1) «Il y a une plainte avec constitution de parties civiles qui a été déposée par la fille de Mme Bettencourt en suspicion effectivement d'abus de faiblesse portant sur sa mère.» Faux: il y a d'abord eu une enquête préliminaire sous contrôle du parquet et le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, a classé sans suite l'affaire. Suite à cela, Françoise Bettencourt a déposé une citation directe à l'encontre du photographe François-Marie Banier qu'elle suspecte d'avoir profité de l'état de faiblesse de sa mère pour la dépouiller d'une partie de son patrimoine.

2) «Des instructions auraient été vaines et inutiles puisque (...) c'est le tribunal correctionnel, (qui) est constitué de juges indépendants, qui prendra et qui prendra seul la décision.» Faux: à l'époque des «instructions» en question (au cours de l'année 2009), la procédure relevait de l'enquête préliminaire, ce qui signifie que c'est le parquet, soumis hiérarchiquement au pouvoir, et non des «juges indépendants», qui avait le contrôle intégral des investigations.


3) MAM confirme surtout l'intérêt du «château» pour cette affaire. L'Elysée a cherché à «s'informer» des développements de l'affaire Bettencourt, reconnaît-elle, mais sans «s'immiscer» dans la procédure. «Cette affaire peut effectivement remettre en cause l'avenir de l'une des plus grandes entreprises françaises et de milliers de personnes», a-t-elle expliqué. «Est-il anormal, dans ces conditions que l'on s'informe au niveau de l'Etat de l'avenir de cette entreprise?», a-t-elle poursuivi.

Pendant ce temps-là, les voix dissidentes de la majorité se font entendre. Salle des Quatre colonnes, Nicolas Dupont-Aignan n'en finissait plus de s'indigner devant la masse de journalistes: «C'est aberrant. Ça fait des semaines que je dis qu'(Eric Woerth) doit démissionner d'un de ses deux postes. Il n'y a pas un pays démocratique où un ministre s'occupe également des finances du parti majoritaire!», a-t-il lancé, jugeant le ministre du travail «très affaibli».

Mardi matin, sur France Inter, Dominique de Villepin a également chargé Eric Woerth: «On ne peut pas à la fois solliciter des bailleurs de fonds et en même temps exercer la fonction de ministre qui exige l'impartialité», a-t-il estimé.

© (DR)

Tout en assurant ne «pas porter la suspicion» sur le ministre du travail. Il a d'ailleurs fait passer le message à ses proches, après avoir rappelé à l'ordre Jean-Pierre Grand (député de l'Hérault), dont il a jugé les propos la semaine dernière trop virulents: «Ne pas attaquer l'homme.»

La veille, c'est un autre ancien premier ministre, Alain Juppé, qui a estimé qu'Eric Woerth – qui fut son conseiller parlementaire à Matignon entre 1995 et 1997 – devait «clarifier les choses» par rapport à ce cumul des fonctions. «Il est certain que la situation qui l'amène à cumuler son poste de ministre et celui de trésorier de l'UMP peut créer des difficultés, je pense qu'il devrait clarifier les choses sur ce plan-là», a-t-il déclaré en marge d'un point de presse consacré au conseil municipal de Bordeaux. «C'est un homme que je crois intègre jusqu'à preuve du contraire», a-t-il déclaré.

Ce «jusqu'à preuve du contraire» est mal passé du côté des ténors de le majorité, qui se sont chargés de lui régler son compte. Certains, comme Maurice Leroy, député Nouveau Centre, ont rappelé «qu'Alain Juppé était à la fois président de l'UMP, premier ministre et maire de Bordeaux (en 1995)». D'autres ont suivi François Fillon, qui, au détour d'une phrase, a précisé qu'Eric Woerth était «trésorier (de l'UMP) depuis 2002 et la création de l'UMP par Alain Juppé. (...) Il est entré au gouvernement sans que (ce cumul) ne gêne personne».

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