Mediapart
Jeu.04 juillet 201304/07/2013 Dernière édition

Sonnée, l'UMP crie au complot et à l'acharnement des juges

|  Par Marine Turchi

L'UMP a dépêché ses lieutenants sarkozystes et copéistes pour dénoncer un « acharnement judiciaire » et évoquer à demi-mot un complot politique.

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« Il n’y a pas d’affaire Bettencourt », répondait mercredi le député UMP Patrick Ollier, salle des Quatre-Colonnes, à l’Assemblée nationale, alors que Mediapart l’interrogeait sur les scandales de la droite. Dix mois après avoir quitté l’Élysée, Nicolas Sarkozy a été mis en examen pour abus de faiblesse dans l’affaire Bettencourt, jeudi soir, après une série de confrontations avec plusieurs membres du personnel de Liliane Bettencourt. Me Herzog, son avocat, a annoncé son intention de « former immédiatement un recours » et a qualifié la décision du juge d’« incohérente sur le plan juridique, et injuste ». L’UMP, elle, se partage entre silence assourdissant et dénonciation à demi-mot d’un complot politique.

Pris de court, les membres du premier cercle de Nicolas Sarkozy sont restés silencieux. L’un d’eux explique au Monde qu'il a été décidé par les membres de l'entourage de l'ancien président de ne pas commenter cette décision pour « ne pas porter ça sur le terrain politique » car « il faut que cela garde un caractère judiciaire ». Brice Hortefeux se contente d’ailleurs de renvoyer vers la position de Me Herzog.

Il a fallu attendre vendredi matin pour voir Claude Guéant ou Henri Guaino courir les plateaux télé. « C'est complètement infâmant », a estimé le premier sur iTélé.

« Je ne veux pas raconter la vie de Harlem Désir, mais nous n'avons aucune leçon de morale à recevoir de lui », a asséné le second sur la même chaîne. « Où sont les preuves ? Où sont les millions ? Où est l'argent qui a été versé ?, s'est-il aussi interrogé sur Europe 1, allant jusqu'à expliquer que le juge Gentil avait « déshonoré la justice » et lui demandant de « communiquer à tous les Français » « les éléments » de cette affaire (voir la vidéo à 7'00):

© (DR)


« Je vous emmerde »
, a lancé de son côté Patrick Balkany, vendredi, à Me Gillot, l'avocat du majordome de Liliane Bettencourt, sur RMC:

© (DR)
 

Jeudi soir, l’UMP avait envoyé à la hâte des sarkozystes et copéistes de second rang sur les plateaux télé pour défendre l’ancien chef de l’État et dénoncer en chœur un « acharnement judiciaire ». La déléguée générale adjointe de l’UMP Valérie Debord, le député Sébastien Huyghe, les co-présidents de la Droite forte Geoffroy Didier et Guillaume Peltier, les co-fondateurs de la Droite populaire Lionnel Luca et Thierry Mariani, la présidente du Parti chrétien-démocrate Christine Boutin, défilent en direct.

Les fillonistes de l’UMP sont restés plus en retrait. Néanmoins, François Fillon, en voyage à Moscou, a confié aux Échos : « Je suis stupéfait par cette décision de mise en examen qui m'apparaît aussi injuste qu'invraisemblable. Tard hier soir, je lui ai envoyé un sms pour lui rappeler directement mon soutien et mon amitié. J'espère que la vérité triomphera. Pour lui c'est une épreuve très douloureuse. » François Fillon n'a cependant pas tardé à répéter ses ambitions présidentielles. Serez-vous candidat en 2017, lui a demandé un journaliste ? « C'est assez probable, oui... Je ne vais pas annoncer à Moscou quoi que ce soit sur ce sujet », a-t-il prévenu avant d'ajouter : « Je me place dans cette perspective. »

Concernant l'ancien chef de l'État, la liste des arguments UMP tient en deux points : il faut s’interroger sur le « timing surprenant » de cette décision, à un moment où la popularité de Sarkozy remonte, et remettre en question l’indépendance de la justice. Le sarkozyste Thierry Mariani se livre parfaitement à l'exercice. « On peut se demander s’il n’y a pas un acharnement des juges, avec des arrière-pensées », dit-il sur iTélé. Sur BFM-TV, il cible le juge d'instruction Jean-Michel Gentil : « L'impartialité n'est pas la première des qualités de certains magistrats. Je me demande si certains juges rendent la justice au nom du peuple français, ou de leurs propres convictions. » « C’est un acte politique », accuse-t-il carrément dans Le Monde plus tard, parlant de magistrats qui ont des « comptes à régler ».

Autre figure de la Droite populaire, Lionnel Luca sous-entend que François Hollande est derrière cette mise en examen :

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Sur BFM-TV, il persiste et signe : « L'adversaire le plus dangereux pour François Hollande reste tout de même Nicolas Sarkozy, à qui il a succédé. Un certain nombre trouveront très utile et très pratique de salir, ou tout du moins de compromettre, celui qui est l'adversaire le plus crédible du président de la République », dit-il.

Sur Twitter également, le maire de Nice Christian Estrosi, proche de Nicolas Sarkozy, réagit violemment :

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Dans un communiqué, le secrétaire général de l'association des amis de Nicolas Sarkozy dénonce une « instrumentalisation de cette affaire ». « Chacun remarquera que cette décision intervient 48 h après la mise en cause d'un ministre socialiste sans doute pour faire compensation », écrit-il. « Nicolas Sarkozy a déjà dit que ces allégations en pleine campagne présidentielle et sans le moindre début d'une preuve relevaient de l'argutie politicienne. »

« Un troisième tour judiciaire »

A l'Elysée, en 2009.A l'Elysée, en 2009.© Reuters


Sur les réseaux sociaux, certains responsables UMP, comme le copéiste David Xavier-Weiss, secrétaire national du parti, ou l'ancienne ministre Christine Boutin, se laissent aller à des raisonnements absurdes:

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« On a l’impression que notre classe politique est mise en accusation !, s'énerve-t-elle quelques minutes plus tard sur BFM-TV, estimant que « nous sommes en train de nous intéresser à des choses qui n’apporteront aucune solution aux problèmes des Français ».

Interrogé par Le Monde, Laurent Wauquiez déroule lui aussi les arguments de l'UMP, en expliquant qu’il « ne croi(t) pas au hasard du calendrier ». « Voilà une mise en examen que rien ne laissait présager, ce qui est très rare, qui intervient comme par hasard la semaine où une information judiciaire est ouverte sur Jérôme Cahuzac et au moment où Nicolas Sarkozy est très populaire dans les sondages. Je trouve donc la ficelle un peu grosse », estime l'ancien ministre, qui ajoute : « Cela laisse planer le doute sur une utilisation à des fins politiques de la justice dans cette affaire. Nicolas Sarkozy a déjà fait l'objet de telles manipulations judiciaires, notamment avec l'affaire Clearstream et je rappelle qu'elles se sont toujours conclues par son innocence. »

Largement instrumentalisée par Nicolas Sarkozy pour casser son adversaire Dominique de Villepin, le procès de l'affaire Clearstream a au contraire démontré l'exact inverse des affirmations de M. Wauquiez. Quant à l'hypothèse d'une opération diversion pour faire oublier l'ouverture d'une information judiciaire visant Jérôme Cahuzac, c'est ignorer le fonctionnement de la justice : la nouvelle convocation devant le juge de Bordeaux avait nécessairement été adressée de longue date à Nicolas Sarkozy.

Guillaume Peltier, le co-président de la Droite forte – autoproclamée “Génération sarkozyste” –, ébauche une théorie du complot politique en dénonçant un « troisième tour judiciaire »: « Plus il est populaire, plus certains tentent de l’empêcher. (...) C’est un véritable acharnement judiciaire qui est fait pour le salir car il est de plus en plus populaire. Il gêne un certain nombre de personnes. » Dans la droite ligne de ses déclarations des derniers jours sur Cahuzac, il a opposé au « tribunal médiatique qui condamne » « le tribunal judiciaire qui, souvent, innocente ».

Sur BFM-TV, Geoffroy Didier, proche de Brice Hortefeux, crie lui aussi à l'« acharnement judiciaire » et dénonce un « traitement à part » de la justice réservé à Sarkozy. Le co-président du collectif droitier de l’UMP a d’ailleurs son explication : c'est parce que Nicolas Sarkozy a « dit certaines vérités et condamné certaines dérives du milieu judiciaire lorsqu'il était (chef de l'État) » que « certains ont décidé de régler des comptes personnels avec Nicolas Sarkozy ». Sur le plateau, il s’énerve après une journaliste de Valeurs actuelles qui explique que le retour de l’ex-président est sans doute compromis car il sera « estampillé mis en examen ». « On ne fait pas de la politique avec des bruits de fond ! Je voudrais que vous (les journalistes - ndlr) soyez globalement plus rigoureux ! » lui lance-t-il.

L’ancien chef de l’État ne « mérite pas ça », estiment en simultané Valérie Debord et Sébastien Huyghe, rappelant le respect de la présomption d’innocence. « Un certain nombre de personnes voudraient voir Nicolas Sarkozy à terre. Il va se défendre », a promis la déléguée adjointe de l'UMP.

Si la droite a été si en retenue sur l'affaire Cahuzac, refusant d'en faire une arme, c'est bien parce qu'elle a elle-même une épée de Damoclès au-dessus de la tête, avec plusieurs affaires en cours (lire notre article du 20 mars). Jeudi soir, les ténors de l'UMP brandissaient leur attitude envers Jérôme Cahuzac comme un appel à la clémence. « Lorsqu'il y a eu la démission de Jérôme Cahuzac, nous avons fait valoir la présomption d’innocence, nous demandons le respect de ce même principe pour Nicolas Sarkozy », a répété Geoffroy Didier. « Naturellement la presse et la gauche seront aussi discrètes sur Sarkozy que nous sur Cahuzac », écrit aussi Luc Chatel, vice-président de l’UMP, sur Twitter, en exigeant de la « retenue pour tous les observateurs ».

© Reuters

L’hypothèse d’un retour de Nicolas Sarkozy en 2017, évoquée avec insistance ces dernières semaines (lire notre article), semble pourtant de plus en plus compromise. Outre l’affaire Bettencourt, le nom de Sarkozy apparaît dans d’autres dossiers auxquels la justice s’intéresse (Tapie, Karachi, Libye, sondages de l’Élysée). Par ailleurs, les comptes de campagne de l’ex-candidat UMP, rejetés par la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) fin décembre, doivent être examinés par le Conseil constitutionnel. Enfin, dans l’affaire de Karachi, plusieurs notes pourraient être déclassifiées. Guillaume Peltier, lui, veut pourtant croire que « plus que jamais, il est le leader de la droite française ». Claude Guéant pense qu'il est toujours un recours pour 2017 et qu'il sera même « celui qui est sorti de l’épreuve malgré les attaques ».

Jeudi soir, Marine Le Pen a été l’une des premières à dégainer un communiqué pour réagir à la mise en examen de l’ancien président, en estimant que celui-ci ne pouvait « en aucun cas rester membre du Conseil constitutionnel ». « Nicolas Sarkozy opère, via cette affaire judiciaire, un retour dans la vie publique certainement assez différent de celui qu'il s'était imaginé », a-t-elle ironisé. La présidente du Front national espère bien récolter les fruits des fardeaux judiciaires du PS et de l’UMP.

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Cet article a été actualisé vendredi matin.