
De Toronto, Nicolas Sarkozy a délaissé, samedi, les dossiers internationaux pour voler au secours de son ministre du travail, Eric Woerth. Après François Fillon, vendredi, Jean-François Copé, samedi, le président de la République veut montrer que la majorité ne lâchera pas le trésorier de l'UMP et ancien ministre du budget. Mais chaque explication avancée ajoute à la confusion et au désordre, contredisant celles fournies les jours précédents. Au final, la défense d'Eric Woerth a volé en éclats.
Le ministre, invité dimanche du «Grand Jury TL-LCI-Le Figaro», n'aura pas plus clarifié la longue liste de questions qui lui est présenté. M. Woerth a désormais trouvé une nouvelle défense, la troisième en une semaine: «Je suis une cible politique car on veut affaiblir la réforme des retraites». Le ministre nie ainsi le vrai calendrier de cette affaire qui est l'ouverture, le 1er juillet, du procès intenté devant le tribunal de Nanterre par la fille de Liliane Bettencourt à François-Marie Banier, ce photographe protégé de la milliardaire et accusé d'«abus de faiblesse».
Eic Woerth a donc répété quelques explications générales, en s'en prenant tout particulièrement aux médias et à l'opposition. Il ne sent pas «affaibli» et a redit qu'il ne démissionnerait pas. "Ce que j'ai fait, je l'ai fait en toute honnêteté, en toute rigueur, et si c'était à refaire je le referais", a-t-il ajouté.
Pourtant, après un Frédéric Lefebvre, porte-parole de l'UMP, qui qualifiait il y a huit jours les enregistrements pirates de Liliane Bettencourt et de ses conseillers d'«affabulations», le parti présidentiel doit se débattre dans un flot d'informations qui se confirment jour après jour. Samedi, Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Mme Bettencourt, confirmait dans un entretien au Figaro l'existence de deux comptes en Suisse pour un montant de 78 millions d'euros (entretien à lire ici).
Il confirmait également des financements politiques du parti majoritaire avec trois chèques faits à Valérie Pécresse, Eric Woerth et «l'UMP» (les enregistrements pirates parlent eux de «Nicolas Sarkozy»). Les questions que nous posons depuis une semaine sur le cadre légal de ses financements demeurent (lire notre article ici). Et une devient particulièrement embarrassante: à quel titre Eric Woerth, qui n'était pas candidat aux élections régionales, a-t-il été bénéficiaire d'un chèque dont le montant d'ailleurs demeure imprécis (M. de Maistre avait parlé d'un montant de 10.000 euros au Monde, montant qui est au-delà des plafonds légaux)?
Mais c'est également le volet fiscal de cette affaire qui est en train d'engloutir le ministre. Jusqu'alors Eric Woerth avait une ligne de défense simple: ni de près, ni de loin, il n'avait eu à connaître en tant que minisre la situation fiscale de Mme Bettencourt. C'est ce qu'il nous affirmait dans un courriel, vendredi 18 juin: «En tant que ministre du Budget, je n'ai donné aucune instruction, de quelque nature que ce soit, à l'administration fiscale sur la situation fiscale de Madame BETTENCOURT. Le laisser entendre constitue une insulte à mon intégrité.» C'est ce qu'il répétait le lendemain dans un entretien au JDD (à lire ici): «Je ne connais pas les finances de Madame Bettencourt.»
Or depuis vendredi, la situation est tout autre. Le ministre doit désormais convaincre qu'il n'a jamais empêché ou bloqué une enquête fiscale sur la fortune de 17 milliards d'euros («environ», dit M. de Maistre) de Liliane Bettencourt. La déclaration vendredi du procureur de Nanterre, Philippe Courroye, a mis à bas la première ligne de défense du ministre. Le procureur a en effet indiqué que l'administration fiscale avait été saisie dès janvier 2009 «du fait que ce dossier était susceptible de mettre en évidence des éléments de fraude fiscale». Eric Woerth ne pouvait donc pas ignorer ce dossier (comme nous l'avons expliqué vendredi).
L'île d'Arros
Quel dossier? Le ministre a tenté d'échapper au piège grand ouvert par le procureur de Nanterre en reconnaissant que «c'est sous son autorité qu'a été lancé un contrôle fiscal sur Monsieur Banier», le protégé de Liliane Bettencourt. Le dossier Banier n'aurait donc rien à voir avec le dossier Bettencourt, suggère ainsi le ministre. Or c'est très exactement l'inverse: les fortunes du photographe François-Marie Banier et de Liliane Bettencourt sont étroitement imbriquées. Et c'est justement cete imbrication qui est au cœur du procès qui doit s'ouvrir le 1er juillet à Nanterre et des poursuites pour «abus de faiblesse» intentées par la fille de Mme Bettencourt au photographe.

Révélés par l'hebdomadaire Marianne, samedi, plusieurs documents sont au centre du dossier d'enquête préliminaire menée par le parquet de Nanterre. Ils concernent l'île d'Arros, aux Seychelles, dont la valeur est estimée entre 500 et 800 millions de dollars et dont la propriété est justement... contestée. Liliane Bettencourt ou François-Marie Banier?
Dans les enregistrements que nous avons publiés, le flou demeure:
Le 23 octobre 2009, Patrice de Maistre à Liliane Bettencourt:
«Je trouve qu'il serait bien que vous récupériez officiellement votre île, d'Arros. Vous savez que cela appartient au Liechtenstein. Et vous savez qu'il y a une loi qui sera en état le 1er janvier prochain et qui va être assez dure pour les gens qui ont des biens à l'étranger non déclarés. Ce qui est votre cas. (...) Votre compte en banque je suis en train de m'en occuper. Je suis allé voir Goguel pour que l'on réfléchisse à ce que, éventuellement, vous déclariez cette île en disant : “J'en suis propriétaire”.»
Le 19 novembre 2009, Patrice de Maistre à Liliane Bettencourt:
«Pour l'île, vous étiez chez vous et à un moment vous avez voulu la donner à François-Marie. [Goguel] a créé une fondation et il a fait des grosses bêtises. Par exemple, il vous a fait mettre 20 millions de ce compte que vous avez à Vevey dans la nouvelle fondation. (...) C'est stupide. Si je voulais ramener l'île, on va tout de suite voir que vous avez un autre compte où vous avez mis 20 millions dans la fondation et on tire le fil. Ça, je ne veux pas. (...) Ils vont demander comment vous l'avez achetée. Ils vont aller regarder les comptes de d'Arros. Vous avez dépensé des sommes énormes à d'Arros, 50 ou 60 millions d'euros et je ne veux pas qu'on ouvre le livre. Ce n'est pas possible. On va rester comme ça. On va pas bouger.»
Le 7 avril 2010, Patrice de Maistre à Liliane Bettencourt:
«Banier vous a fait mettre d'Arros dans une fondation pour lui. (...) Pour le moment, c'est insupportable. J'ai vu l'avocat de Banier en Suisse et Banier vous a pris 20 millions pour le mettre dans la nouvelle fondation.
— Liliane Bettencourt : «Sans prévenir ?»
— PdM : «Si, probablement. Je ne sais pas. Aujourd'hui, j'ai dit qu'il faut que cette nouvelle fondation paye une partie des frais pour d'Arros. Et l'avocat me dit : “Ah, vous savez, on n'a pas envie”... Alors, ça suffit ! Je l'ai (mot inaudible) Banier pour ça. Il m'a dit : “Oui, oui, je ne sais pas” (...)»
— LB : «Cela correspond à quelle somme ?»
— PdM : «Il a mis l'île dans une fondation pour lui. (...) Ensuite, il vous a pris 20 millions en Suisse, qu'il a mis dans sa fondation.»
Soupçon de protection
Le dossier fiscal Banier recouvre ainsi en large partie le dossier fiscal Bettencourt et Eric Woerth ne pouvait pas plus l'ignorer. Du coup, le ministre s'est mis dans une position plus délicate encore: être suspecté d'avoir donné le feu vert à un contrôle fiscal du photographe mais de ne pas l'avoir fait pour Mme Bettencourt, protégeant ainsi la milliardaire pour laquelle son épouse travaillait!
Samedi, François Hollande (PS) demandait ainsi à Eric Woerth de révéler «s'il avait ou non engagé une procédure de contrôle fiscal contre Liliane Bettencourt». Ce dimanche matin, François Baroin, successeur d'Eric Woerth au ministère du budget, a tenté de voler au secours de son collègue. Sur Europe 1, il a assuré qu'il n'y avait à Bercy «aucune trace» d'une quelconque intervention de son prédécesseur Eric Woerth pour épargner un contrôle fiscal à Liliane Bettencourt. Et il a annoncé que l'administration fiscale allait passer au crible «la totalité des actifs de Liliane Bettencourt».
Une annonce qui ne répond en rien à la multitude des questions posées. L'Elysée, le gouvernement, et plus seulement Eric Woerth, sont désormais pris dans ce scandale où se mêlent conflits d'intérêts, fraudes fiscales et financements politiques. Scandale à tiroirs, puisque le Journal du Dimanche de cette semaine pointe aujourd'hui une autre affaire qui menace Eric Woerth.
Celle de Robert Peugeot, de la famille contrôlant le groupe automobile, qui fut victime en décembre dernier d'un cambriolage à son domicile, cambriolage au cours duquel furent dérobés des lingots d'or (lire en cliquant ici l'article du JDD)... Où l'on découvre, de surcroît, un déjeuner entre Robert Peugeot et Eric Woerth, une remise de la légion d'honneur à Robert Peugeot par le même Eric Woerth, et une photo de partie de chasse en Espagne, en 2003, réunissant Robert Peugeot... et Patrice de Maistre. Précision: Eric Woerth n'est pas sur la photo.

Retrouver en cliquant ci-dessous:
Affaire Bettencourt: le dossier complet de Mediapart
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