Il a beau reprendre les chiffres, il ne les comprend pas. Selon diverses estimations, l'île d'Arros coûterait entre 500 millions et un milliard d'euros. Comment peut-on parvenir à de tels montants? Car l'île d'Arros, Gabriel Dubie la connaît bien. Il a été agent immobilier, responsable d'une société, Châteaux et demeures d'Armagnac, spécialisée dans l'immobilier de prestige comme on dit, qui a fait faillite par la suite.
Ce monde est tout petit. En 1996, alors qu'il est associé à la vente d'une autre île dans l'archipel des Seychelles, l'île Denis, il est informé de la possible cession de l'île d'Arros. Et il obtient un mandat de recherche d'acquéreur signé par un responsable immobilier chargé de la cession, au nom du prince Chahram Pahlavi, neveu de l'ancien shah d'Iran et propriétaire de l'île.
La transaction envisagée ne porte pas directement sur l'île elle-même, mais sur des parts de société. Arros a en effet été enregistrée au Liechtenstein le 20 août 1975 sous le nom de D'Arros Land establishment (voir les statuts de la fondation ici). Un capital initial de 30.000 francs suisses a été constitué par paiement auprès de la First national City Bank à Genève. Comme il est habituel dans ce type de montage, les propriétaires se cachent derrière des prête-noms.
L'un s'appelle Pierre de Charmant, notaire à Genève à l'étude Bobel, Barbey, de Charmant et Perret. Interrogée, celle-ci n'a pas été en mesure de nous donner la moindre information sur ce contrat. L'autre responsable se nomme Bruno B. Güggi, domicilié à Vaduz. Un homme de l'art, semble-t-il, auteur de plusieurs ouvrages sur les fondations et les holdings privées au Liechtenstein. Ce sont ces deux personnages qui ont la responsabilité de gérer l'Anstalt, la fondation officiellement propriétaire de l'île des Seychelles, et d'accomplir les rares actes administratifs requis au Liechtenstein. Et c'est cette fondation qui est mise en vente.
A l'époque, comme Gabriel Dubie l'a expliqué à la Brigade financière, le prix minimum de cession avait été fixé à 15 millions de dollars. «Le propriétaire d'Arros m'a demandé de vous informer que le prix demandé pour cette propriété était de l'ordre de 15 à 20 millions de dollars et toute négociation doit être conduite dans cet esprit», lui écrit alors le responsable de la transaction.

( voir le pdf de la lettre ici)
Lui-même a des acquéreurs potentiels, de richissimes Russes, pour 18 millions de dollars. Mais entre-temps, Liliane Bettencourt s'est manifestée, prête à payer beaucoup plus, semble-t-il.
Combien a-t-elle payé? «Personne ne sait quel a été le prix payé pour d'Arros», dit Me Olivier Metzner, avocat de Françoise Bettencourt-Meyers. Me Georges Kiejman à qui nous voulions poser la question n'a pas retourné notre appel. «Le chiffre de 120 millions de dollars a été évoqué», dit Gabriel Dubie. «Si cela a été le montant réel de la transaction, c'est incompréhensible.» En tout cas, sans rapport avec les prix de marché affichés à l'époque.
«L'argent vient de Nestlé»
Mais ses interrogations ne s'arrêtent pas là.

Quant au 1,7 million d'euros de frais de fonctionnement annuel, l'homme, qui a quelques références locales en tête, est aussi un peu étonné. «Vous savez la main-d'œuvre locale n'est pas payée très lourd», souligne-t-il d'un ton entendu.
Ces réflexions laissent planer encore plus de doutes sur ce qui se joue autour de l'île d'Arros, les intérêts et les petits arrangements entre les uns et les autres, facilités par le statut volontairement opaque de l'île et par une évasion fiscale organisée. Lors d'une discussion assez animée, le 11 mai 2010, entre Patrice de Maistre et François-Marie Banier pour savoir qui devait assurer le paiement de l'entretien de l'île, ce dernier met en avant quelques informations qui pourraient être de nature à intéresser la justice et le fisc.
(Retranscription des enregistrements réalisés clandestinement par l'ancien majordome de Liliane Bettencourt).
-Patrice de Maistre: «On n'a pas de preuve (au sujet de l'île d'Arros). On n'a pas de problème de ce côté là, vous avez remarqué.»
-François-Marie Banier: «Ce qui m'inquiète, c'est Françoise. Elle est capable de faire n'importe quoi. Mais dans le n'importe quoi, on s'apercevra que l'argent qui était là-bas vient de Nestlé.»
-Patrice de Maistre: «Oui et alors?»
-François-Marie Banier: «Pour les Bettencourt...».
A quoi fait-il allusion? La valeur hors norme affichée de l'île d'Arros par rapport au marché est-elle destinée à servir de leurre, y compris auprès de la principale intéressée, Liliane Bettencourt? Aucun juge d'instruction n'ayant été nommé par la volonté du procureur Courroye, aucune commission rogatoire internationale n'a pu être lancée en Suisse comme au Liechtenstein. Pas la moindre vérification internationale n'est donc engagée sur la fondation ou les fondations intéressées par l'île, quant à savoir qui en a la propriété, qui en assume les charges, et pas davantage pour entendre le notaire suisse, Me Tavernier, désigné dans les enregistrements comme le responsable de la fondation. Le brouillard risque donc de planer encore longtemps autour d'Arros: peu semblent pressés de dissiper les ombres qui entourent cette île pleine d'intérêts.
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