Face à la stratégie de la majorité, la gauche semble presque désemparée. A la suite du témoignage de l'ancienne comptable de Liliane Bettencourt, l'opposition monte d'un ton mais a le sentiment de «batailler dans le vide», selon les termes d'un proche de Martine Aubry.
Au cabinet de la première secrétaire du PS, si on a désormais «le sentiment d'une affaire d'Etat, on ne peut pas faire grand-chose d'autre que regarder. On a demandé des réponses, on refuse de nous en donner. Le problème, c'est qu'on a l'impression que Sarkozy cherche une porte de sortie, mais qu'il n'y en a pas». Et de reconnaître une «certaine inquiétude» face aux «remontées du terrain»: «Le climat commence à devenir délétère et le “tous pourris” fait florès. On n'a pas peur, mais on craint les attaques violentes de la droite. Perdue pour perdue, elle va tenter de salir tout le monde...»
A la conférence des présidents de groupe de l'Assemblée nationale, ce mardi matin, Jean-Marc Ayrault a vu ses derniers espoirs de commission d'enquête parlementaire se heurter au refus de Jean-François Copé, son homologue de l'UMP. «Pourtant, Bernard Accoyer (le président de l'Assemblée) était d'accord, à condition que les noms n'apparaissent pas, explique un collaborateur du responsable PS. Ce que nous avons fait, en ne parlant plus que de “première fortune de France”, de “ministre du budget”, de “trésorier de l'UMP”, etc.»
Le groupe PS ayant déjà utilisé il y a un mois son droit de tirage lui donnant droit à une commission d'enquête ne pouvant quasiment pas lui être refusée (sur les fonds spéculatifs), elle est condamnée à attendre l'ouverture de la prochaine session ordinaire, en octobre. Et comme le groupe communiste et Verts a lui préféré ne pas user de son propre droit de tirage, l'opposition est condamnée à attendre.
Alors, elle change son fusil d'épaule et ouvre de nouveaux angles de tir. Tandis que Benoît Hamon estime que «ça ne peut plus durer comme cela» (voir la vidéo) et s'interroge sur la nécessité d'un remaniement ministériel (tout comme François Hollande), Martine Aubry et Arnaud Montebourg ont à la mi-journée judiciarisé leurs revendications.
Mélenchon: «Qu'ils s'en aillent tous!»
La première secrétaire du PS a ainsi demandé que la garde des Sceaux Michèle Alliot-Marie saisisse le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour que l'affaire Bettencourt soit «dépaysée dans un autre tribunal» que celui de Nanterre. «Cette affaire oppose le juge Philippe Courroye, lui-même mis en cause dans les écoutes, à un juge d'instruction, Isabelle Prévost-Desprez.»
Pour Arnaud Montebourg, «il n'existe pas d'autre solution désormais, pour confirmer ou infirmer ces révélations, que de nommer un juge d'instruction indépendant du gouvernement qui fera connaître la vérité relative à l'éventuelle implication des intéressés», estimant que Philippe Courroye «est placé dans une situation de dépendance structurelle à l'égard du pouvoir qui l'empêche sur le plan déontologique de diriger la moindre enquête préliminaire: il doit se dessaisir et, par réquisitoire, saisir un juge d'instruction qui instruira en toute indépendance les faits signalés par l'ancienne comptable de madame Bettencourt».
Le député vert Noël Mamère confie pour sa part son ras-le-bol des menaces de populisme: «Le principe d'une démocratie, c'est la confiance des citoyens dans sa représentation politique. Mais elle est aujourd'hui ruinée. Et l'on n'a droit qu'à des dénégations et des invectives, au lieu de la transparence que mériterait le remarquable travail des médias.»
Après avoir défendu Eric Woerth il y a une semaine, Jean-Luc Mélenchon ne s'encombre lui désormais plus de précautions. Dans un communiqué, l'eurodéputé du Front de gauche déclare: «Cette fois-ci, ça sent très mauvais! Le chef de l'Etat doit rendre des comptes. Les accusations de la comptable de la Bettencourt mettent en cause non seulement la probité de son ministre du travail mais la légitimité de sa propre élection. (...) Si ceux qui ont trop fumé ou trop construit ont dû partir, ceux qui ont “touché” doivent partir aussi! A la fin on y viendra: “Qu'ils s'en aillent tous!”»
Ses camarades communistes n'ont pas l'air pour autant de vouloir ferrailler sur le sujet. Au contraire, leurs questions adressées à Eric Woerth ce mardi après-midi lui ont permis de réapparaître dans son délicat costume de ministre du travail en sursis.
«Ça va bien! Arrêtez la vertu!»
Dans l'hémicycle, gouvernement et majorité ont eux choisi de ne pas lâcher un pouce de terrain aux socialistes. Dès la première question de Jean-Marc Ayrault, les bancs de la droite se sont agités, aux cris de «Pierre Bergé! Pierre Bergé!» (soutien financier de Ségolène Royal). Après une réponse de Michèle Alliot-Marie, rappelant que «la justice fait son travail» et que «l'innocence se présume et la culpabilité se prouve», le député UMP Claude Goasguen évoque l'enquête judiciaire en cours mettant en cause le PS marseillais (lire les derniers développements de l'affaire ce mardi dans Le Figaro). «Alors, ça va bien! Arrêtez la vertu!», s'exclame-t-il. Son collègue Guy Lefrand (UMP également) a aussi menacé de «poser une question sur les liens entre politiques et argent dans la région PACA», avant de se rétracter: «Mais je ne le ferai pas, car nous ne sommes pas dans la calomnie, nous.»
Puis le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel, a argumenté historiquement sa diatribe anti-PS: «Les héritiers de Jaurès ne font plus aujourd'hui la distinction entre la vérité et le mensonge. Ecoutez les propos d'un vrai républicain (Léon Blum) qui disait il y a des décennies: “Il n'y a pas d'antidote contre le poison de la calomnie. Une fois versé, il continue d'agir.”»
Même topo pour François Baroin, qui accuse les socialistes de faire le jeu du Front national, provoquant le départ de l'opposition (sauf une dizaine de députés, dont Jack Lang et Julien Dray)...
Patrick Devedjian prend ensuite la parole, alors que les bancs continuent à se vider: «Je comprends le groupe socialiste, il y a des vérités dures à entendre. Vous avez consacré 5 questions sur 7 à l'affaire Bettencourt. Si ça, ce n'est pas une campagne...» Jean Glavany tentera par la suite une dernière saillie: «S'il ne doit en rester qu'un pour poser les questions... M. Baroin, pas la peine de s'énerver comme ça.» Bronca à droite. Et de poursuivre: «Le populisme ne se nourrit pas des dénonciations mais des pratiques. Pour combattre l'extrême droite, il faut exiger la transparence.» Puis pose sa question au ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner, à propos des déclarations toutes récentes de Jean-Christophe Rufin, ancien ambassadeur du Sénégal, sur l'absence du Quai d'Orsay dans la diplomatie française (lire ici). Bernard Kouchner se remet droit sur sa chaise et répond, l'hémicycle à moitié vide: «Vous lisez trop les journaux»...
Aujourd'hui
Comptes offshore: ce que Condamin-Gerbier a dit aux juges
-
A Tunis aussi, Hollande affronte la mémoire coloniale
-
Retraite: la « double peine » des ouvriers
-
La Légion d’honneur envoie Woerth et de Maistre en correctionnelle
-
Affaire Bettencourt : intox et faux-semblants
-
En 2011, le président du Sénat a utilisé sa «réserve» à des fins électorales
-
Egypte: l'armée suspend la constitution, Morsi n'est plus président
-
Affaire Kerviel: un cadeau fiscal de Lagarde a servi à payer les actionnaires
-
Loi Duflot: calculez votre futur loyer
-
Espionnage: Hollande cède sous la pression des Etats-Unis