
Aucun favoritisme à première vue. Les fauteuils étaient identiques, pour l'interviewer et l'interviewé, qui se partageaient, à armes égales, une même surface plane, comme pour jouer cartes sur table. Mais nous avons vite compris que des deux costumes bleus, celui agrémenté de la légion d'honneur tout en bénéficiant de drapeaux en arrière-plan, était bien le patron de l'autre, littéralement dos au mur.
Qui passait l'examen? Certainement pas Nicolas Sarkozy. Il se posait beaucoup de questions à lui-même: «Pourquoi j'ai pas le droit (de penser à la présidentielle)?», «Avez-vous remarqué que le collectif “Sauvons la recherche” ne s'exprime plus?», «Vous m'imaginez repartant avec de l'argent?», «Est-ce que vous ne croyez pas?», «Est-ce que vous croyez?». Il se donnait régulièrement, à lui-même, du «Monsieur le Président»: «Ah! Mais Monsieur le Président, vous n'avez qu'à augmenter les impôts.»
Il commentait même la prestation de son faire-valoir. Sur le mode complaisant: «Vous touchez à la difficulté de la question» (s'agissant des travailleurs actifs âgés de 54 à 64 ans). Ou usant d'un ton grinçant: «Vous êtes trop sérieux pour vous laisser aller à des formules» (à propos d'un simple fait: les 30 millions d'euros remboursés à Liliane Bettencourt au titre du bouclier fiscal). Et le président de conclure cette interview, transformée en entretien d'embauche infligé à son questionneur, par un paternaliste: «Vous avez de l'expérience.»
La mise en abyme d'une telle dépendance d'un journaliste, devenu simple interrogeant de son examinateur, sauta aux yeux lorsqu'il fut question de la nomination des dirigeants de l'audiovisuel public. Et ce, le jour même où était avalisée la désignation du patron de David Pujadas, Rémy Pflimlin, président de France Télévisions, par le président de la République, patron du patron, donc «grand-patron» (comme on dit grand-père) de son questionneur vespéral...
Le moment fut piteusement grandiose de non-dits entre initiés nantis des «mêmes souvenirs», à propos de la démission du responsable de la télévision publique, Philippe Guillaume, poussé dehors le 18 décembre 1990, après dix-huit mois de guérilla contre le pouvoir socialiste, qui le remplaça par Hervé Bourges. À ce jeu du «je te tiens, tu me tiens par la barbichette cathodique», David Pujadas se soumit derechef. De même qu'il n'a pas tenté de faire valoir son avantage, lorsqu'il fit remarquer au président de la République (et donc grand-président de France Télévisions), que le refus par les parlementaires d'une nomination élyséenne dans l'audiovisuel ne devrait pas recueillir 50% d'avis défavorables, mais les 3/5es . «Eh alors!», balaya Nicolas Sarkozy, qui montra soudain, malgré lui, qu'il n'était pas toujours cet «homme juste, d'équilibre et de sang-froid», vanté par ses propres soins avec des accents de camelot.
Il ouvrait la voix...
Le journaliste réquisitionné au Palais fut, hélas, dans sa fonction quasi constitutionnelle: légitimer ce contre quoi prétendaient s'exercer ses petites questions, relances, ou remarques. David Pujadas faisait de l'accompagnement rhétorique, comme un motard de la gendarmerie nationale ouvre la voie au cortège présidentiel. Il ouvrait la voix...
Nicolas Sarkozy lâche-t-il les mots «calomnies et mensonges» (qui se seraient déversés sur Éric Woerth pendant trois semaines), que le questionneur officiel, sans chercher à expertiser ces deux substantifs accusateurs, ose juste ceci, dans un murmure de soumission: «Vous n'avez jamais eu un doute?» Le président répond: «Jamais!»

David Pujadas a perdu la bataille des mots. À la suite de «calomnies et mensonges» (pluriel), grandes orgues présidentielles, il ne trouve en tout et pour tout, à propos de Florence Woerth, que «maladresse et imprudence» (singulier), flûtiau journalistique. Il ne restait plus au malheureux qu'à lâcher totalement prise, avec la question ouverte par excellence, une façon de déposer les armes du verbe, tel un Vercingétorix devant son César: «Mais qu'est-ce qu'on fait?» (Bonjour la question piège!)
Celui qui, à France 2, se verrait bien un jour chef à la place de sa cheftaine Arlette Chabot, n'allait certes pas reprendre le président de la République (patron de l'Académie française par ailleurs) sur une faute d'accord du participe passé avec l'auxiliaire avoir: «Nous avons pris les décisions que nous avons pris (sic).» Toutefois, il aurait pu relever que le scandale des notes de frais des parlementaires britanniques, auquel faisait allusion le chef de l'État, n'induit pas du tout un régime plus corrompu, comme faisait mine de le croire son auguste interlocuteur, mais un système plus transparent.
Nicolas Sarkozy a encore des progrès à réaliser pour passer au mieux dans le poste, même s'il a visiblement davantage reluqué la télé que dévoré La Princesse de Clèves. Par exemple, lorsqu'il veut prendre le bon peuple à témoin, il dit «ceux qui nous regardent» en se tournant vers sa gauche (où un écran de contrôle devait être camouflé), alors qu'au moment du plan en question, nous sommes à sa droite. L'acte manqué ne manque pas de sel.
Voilà ce qui advient lorsque le journaliste a perdu toute fonction, tout crédit, toute distance critique: il ne reste plus au téléspectateur qu'à guetter ce genre de détails, vengeurs. Livré à lui-même, Nicolas Sarkozy devient le meilleur contradicteur de soi-même. Il évoque ainsi, vers la fin, ces gens qui ont offert «un visage désastreux». Il s'énerve: «Les responsables doivent partir!» Tiens, aurait-il, en cours d'émission longuette, changé d'avis au sujet de l'affaire Bettencourt? Non, il s'agissait de l'équipe nationale de football.
À voir, dans l'onglet «Prolonger», une vidéo exhibant des journalistes apprivoisés, de la IIIe à la Ve Républiques en passant par Vichy...
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