Claude Guéant, le secrétaire général de l'Elysée, est accusé d'avoir organisé les fuites des extraits du procès-verbal d'audition de Claire Thibout. Le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, proche de Nicolas Sarkozy, cité dans les enregistrements clandestins, et pourtant chargé du dossier Woerth-Bettencourt, subit les critiques des syndicats de magistrats et de la gauche. Eva Joly dénonce un «procureur aux ordres» dans Le Monde et lors de l'émission Arrêt sur images. Arnaud Montebourg demande dans nos colonnes au PS de «saisir la justice» «puisque le pouvoir bloque toutes les enquêtes indépendantes». Les appels se multiplient, qui demandent un juge indépendant.
De quoi contraindre l'Elysée à allumer d'autres contre-feux. Après la stratégie consistant à transformer l'affaire Bettencourt en affaire Mediapart – accusé d'user de «méthodes fascistes» –, l'UMP a enclenché une nouvelle phase de riposte: faire passer Philippe Courroye pour un juge indépendant. Le crédibiliser, rappeler son travail de juge d'instruction au tribunal de Lyon, puis à celui de Paris. Et surtout contrer les appels répétés pour un juge d'instruction indépendant.
Nicolas Sarkozy a donné le ton, lors de son intervention sur France 2, le 12 juillet.
- A trois reprises, il s'est obstiné à parler du «juge Courroye» – et non du procureur –, avant de balayer la contradiction de David Pujadas en tranchant d'un «C'est un magistrat». Le Figaro parlera de «lapsus». D'autres médias, dont Mediapart, relèveront une «erreur» (ici et là). Une erreur bien volontaire, pour celui qui fut avocat.
- Autre erreur délibérée: dire que Philippe Courroye «a été pendant des années juge (ndlr: d'instruction) au pôle anti-corruption». Ce «pôle anti-corruption» n'existe pas. Il s'agit du «pôle financier» du tribunal de Paris. Mais cette dénomination de juge «anti-corruption» permet au chef de l'Etat d'ériger le procureur en Monsieur Propre. «(Il) a mis en prison ou a envoyé en cour de justice de la république des personnalités de droite», ajoute Nicolas Sarkozy.
- Décrédibiliser les appels à un juge impartial. «Lorsque les éléments étaient à charge contre Eric Woerth (..) comme par hasard les juges étaient indépendants. Maintenant (...) que l'honnêteté de M. Woerth éclate en plein jour, le même juge devient quelqu'un dont il faut soupçonner l'impartialité», a-t-il lancé.
- Laisser croire que changer de juge serait une atteinte à l'indépendance de la justice de la part du président de la République. «Vous croyez que ce serait indépendant de dire «Ce serait bien qu'on change de juge», qu'on en mette un autre? Ce n'est pas ma conception de l'indépendance de la justice», a-t-il répondu à David Pujadas.
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«Le procureur Courroye agit en toute indépendance»
Dans la foulée, les ministres proches du président ont distillé ces éléments de langage dans les médias. Sur RMC, le 15 juillet, la secrétaire d'Etat à la famille, Nadine Morano, assure que «le procureur Courroye agit en toute indépendance». Elle aussi parle d'une «cellule anti-corruption» et rappelle que Philippe Courroye «a fait en sorte que des personnalités de droite comme de gauche (soient mises en examen)».
Et la proximité du procureur de Nanterre avec Nicolas Sarkozy? «Le président de la République connaît beaucoup de monde. (...) Chacun connaît son procureur de la République», «des personnalités connues», qui «ne sont pas des gens qui sont enfermés dans un bureau dont on ne connaît pas l'identité et qui vivent reclus.»
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Le même jour, sur RTL, Nathalie Kosciusko-Morizet, sa collègue de l'économie numérique, rappelle que «la justice est saisie de multiples procédures», et qu'«un procureur (en) est en charge».
Son discours est calqué, quasiment mots pour mots, sur celui du chef de l'Etat: «On ne peut pas dire des magistrats qu'ils sont indépendants quand on aime leurs décisions, et qu'ils le sont pas quand on n'aime ou on craint ne pas aimer leurs décisions.» Et: «Ce procureur s'est attaqué par le passé à des personnalités de droite, comme à des personnalités de gauche. Je crois qu'il fait surtout son travail, et maintenant, on laisse la justice mener ces procédures-là.»
Pendant que Nicolas Sarkozy s'adressait aux Français sur France 2, Philippe Courroye affirmait, dans Le Monde, qu'«il ne s'agi(ssait) pas de protéger quiconque ni de prouver son indépendance». «Le parquet est le défenseur de l'intérêt général et l'avocat de la loi. Il a un devoir d'impartialité», expliquait-il, estimant n'avoir «ni à (se) justifier, ni à (se) défendre».
Dans le même temps, il s'est efforcé de donner l'impression que les choses bougeaient. En ouvrant pas moins de trois enquêtes préliminaires sur l'affaire Bettencourt. En mettant en scène les perquisitions (voir les images) aux domiciles de Liliane Bettencourt, de Patrice de Maistre, son gestionnaire de fortune, et de l'artiste François-Marie Banier, alors que ces perquisitions, dans le cadre de cette procédure, se font avec le consentement des perquisitionnés...
En médiatisant, enfin, les gardes à vue de Patrice de Maistre, Me Fabrice Goguel (l'ancien avocat fiscaliste de Liliane Bettencourt), François-Marie Banier et du gérant de l'île d'Arros aux Seychelles, Carlos Vejarano. Le but est clair: faire de l'ombre aux nouveaux témoignages recueillis ces derniers jours par les policiers. Et pour cause: ces témoignages crédibilisent les déclarations de Claire Thibout sur l'existence d'enveloppes en espèces ayant profité à des personnalités politiques, principalement de droite. Le 17 juillet, ces gardes à vue ont d'ailleurs été prolongées.
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