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Jeu.04 juillet 201304/07/2013 Dernière édition

Affaire Bettencourt : les enregistrements définitivement validés

|  Par Michel Deléan

La chambre criminelle de la Cour de cassation a tranché : les enregistrements effectués par le majordome de Liliane Bettencourt sont des preuves valables. Les différentes enquêtes dépaysées au tribunal de Bordeaux peuvent se poursuivre.

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Les juges d’instruction de Bordeaux ont maintenant le champ libre pour instruire tous les volets de l’affaire Bettencourt. La chambre criminelle de la Cour de cassation a en effet validé, ce mardi 31 janvier, les enregistrements clandestins effectués par le majordome de Liliane Bettencourt à son domicile de Neuilly.

Les magistrats de la plus haute juridiction ont rejeté les pourvois déposés par les avocats de la milliardaire et par ceux de sa fille, Françoise Meyers-Bettencourt, qui soutenaient que la captation de conversations par le dictaphone du majordome constituait une violation de la vie privée, et que l’enquête n’aurait pas dû démarrer sans le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile (on peut lire l’arrêt de la Cour de cassation ici). En substance, les magistrats ont jugé que ces enregistrements avaient valeur de preuve dans un dossier pénal, et qu’ils ne sauraient être annulés.

Débarrassés de cette menace procédurale qui planait au-dessus du dossier, et risquait de freiner leurs investigations, les six juges d’instruction de Bordeaux vont pouvoir s’atteler aux différents aspects de cette affaire tentaculaire. L’affaire Bettencourt a en effet été saucissonnée en pas moins de huit informations judiciaires distinctes, dans une ambiance de secret absolu qui confine à l'obsession.

Liliane BettencourtLiliane Bettencourt© (DR)

Trois juges d'instruction ont été désignés pour les dossiers principaux, qui visent notamment des soupçons de trafic d'influence (la Légion d'honneur remise à Patrice de Maistre par Eric Woerth), de financement illicite de parti politique (l'UMP), d'abus de confiance, escroquerie et abus de biens sociaux (la gestion des biens de la milliardaire et des dons à ses proches), ainsi que de possibles vols, abus de faiblesse, violences volontaires, dénonciation calomnieuse, etc. Ces trois juges d'instruction sont Jean-Michel Gentil, Valérie Noël et Cécile Ramonatxo.

Quant au volet secondaire de l'affaire qui concerne les factures détaillées (fadettes) de la juge Prévost-Desprez, il a été confié à deux autres juges d'instruction, Philippe Darphin et Emmanuel Planque (ce dernier a depuis obtenu une promotion outre-mer, et a été remplacé). Enfin, une sixième magistrate, Marie-Elisabeth Bancal, a été chargée de la procédure visant le photographe et écrivain François-Marie Banier, qui avait fait l'objet d'une citation directe pour « abus de faiblesse » devant le tribunal correctionnel de Nanterre avant qu'elle ne soit gelée. 

D'autres mises en examen sont attendues

Voici quinze jours, le juge Gentil s’est rendu au domicile de l’héritière de l’empire L’Oréal pour procéder à son audition en tant que partie civile. « C’était une audition inodore et incolore », relate Benoît Ducos-Ader, l’avocat bordelais de Liliane Bettencourt désigné par son nouveau tuteur, Olivier Pelat (fils de Roger-Patrice Pelat et ami de la famille Bettencourt, Olivier Pelat a été désigné lors de la mise sous tutelle de la vieille dame, le 17 octobre dernier).

« Madame Bettencourt a répondu à certaines questions, pas à d’autres. Elle est toujours pimpante, apprêtée et très soignée, mais elle n’est pas en état de se souvenir des gens qu’elle a vus récemment », explique Me Ducos-Ader, selon qui la mémoire de la vieille dame s’est encore dégradée ces derniers temps.

En décembre, les juges d'instruction ont procédé aux mises en examen de plusieurs personnes soupçonnées d’abus de faiblesse. Il s’agit de Patrice de Maistre, l’ancien gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, du photographe et écrivain François-Marie Banier, et de son compagnon Martin d’Orgeval, ces deux derniers ayant été couverts de cadeaux somptueux.

Stéphane CourbitStéphane Courbit© (DR)

Dans les semaines qui viennent, on s’attend à ce que l’avocat fiscaliste Pascal Wilhelm, le notaire Patrice Bonduelle, voire l’homme d’affaires Stéphane Courbit, soient eux aussi entendus. L’investissement de 143 millions d’euros que Pascal Wilhelm, alors désigné protecteur de Liliane Bettencourt, a fait faire à la vieille dame au profit de l’un des clients de son cabinet d'avocats, Stéphane Courbit, pose en effet question.

De discrètes tractations entre avocats sont en cours pour dénouer cet investissement controversé, mais Stéphane Courbit ne semble pas pouvoir rembourser les 143 millions d'euros en une fois, selon des sources proches du dossier : il a en effet rapidement fait remonter 30 millions d’euros dans sa holding personnelle (par le biais d’une réduction de capital), et ses affaires ne semblent – actuellement – pas très florissantes...

Par ailleurs, le volet politique de l’affaire Bettencourt est toujours en suspens. Le juge Gentil a récemment demandé à se faire remettre les comptes de campagne 2007 du candidat Sarkozy, ce qui laisse augurer d'une avancée judiciaire sur ce front là également.

L’ancienne comptable de la milliardaire a en effet évoqué en détail des remises d’enveloppes, et ses dépositions doivent donner lieu à de nombreuses vérifications. On ignore, en revanche, si les juges observeront ou non une trêve pendant la campagne électorale.

Par ailleurs, l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation semble contredire quelque peu celui qui a été rendu par la première chambre civile de la même haute juridiction, le 6 octobre dernier. La première chambre civile a en effet estimé que les enregistrements du majordome n'auraient pas dû être divulgués par Mediapart et Le Point, au motif qu'ils constituent une atteinte à l'intimité de la vie privée. 

Sachant que c'est justement la révélation des extraits de ces enregistrements ayant un intérêt public qui a permis à la justice de se mettre en marche, dans ce qui semble bien être une affaire d'Etat, on est en droit de se demander où se situe la cohérence entre ces deux décisions. La justice devrait-elle enquêter sur des preuves dont la presse n'a pas le droit de parler ?

Ce sera donc à la cour d'appel de Versailles, désormais chargée de rejuger les plaintes contre Mediapart et Le Point, de trancher à nouveau sur cette question.

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