« Je ne sais pas qui est Claire Thibout et je ne sais pas pourquoi elle dit cela », a soufflé Éric Woerth devant le juge de Bordeaux Jean-Michel Gentil, en septembre dernier. L’ancien ministre du budget, démissionnaire de ses fonctions de trésorier de l’UMP en pleine affaire Bettencourt, ne crie plus à la « calomnie » et au « mensonge » comme il l'a tant fait. Claire Thibout, l’ancienne comptable des Bettencourt, mise sur le gril au moment de ses déclarations à Mediapart sur des financements secrets de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, est désormais un témoin intouchable.
L’époque est bien finie où l’ancien président annonçait que « chaque témoin » apportait « sa contribution pour montrer qu’il y a une calomnie, une campagne » grâce à l’enquête préliminaire du procureur de Nanterre, Philippe Courroye. Le juge d’instruction qui s’apprête à interroger Nicolas Sarkozy, après avoir perquisitionné ses bureaux, souligne désormais les mensonges des uns et des autres.
L’ancien président, qui avait nié avoir rencontré M. Bettencourt en tête-à-tête, a lui-même communiqué la date d’un rendez-vous particulier. Et Jean-Michel Gentil évoque désormais ouvertement l’hypothèse d'une « remise » de fonds « à titre personnel en faveur de M. Sarkozy ».

À Bordeaux, les investigations ont confirmé intégralement « le témoignage initial » de la comptable. « Désormais, la matérialité des remises d’argent est établie, a souligné le juge le 5 septembre devant Woerth. L’origine de cet argent sur des comptes en Suisse est également établie, le caractère opaque de ces remises d’argent l’est tout autant, l’implication de Patrice de Maistre – ancien gestionnaire de fortune de Bettencourt – dans la demande de cet argent l’est également, de même que son implication à la réception des fonds. »
Claire Thibout a « beaucoup d’informations sur ce qui se passe dans cette maison », reconnaît Woerth. « Je pense qu’il y a des difficultés dans ce huis clos familial et professionnel que représente la famille Bettencourt et j’en fais les frais. » Lors de cet interrogatoire en partie dévoilé par Le Monde, l’ancien trésorier de l’UMP maintient qu’il n’a « jamais reçu d’argent de Patrice de Maistre ».
À la date du 19 janvier 2007, Claire Thibout avait noté sur son agenda « rendez-vous Patrice de Maistre, 8h30, trésorier, rue des Poissonniers ». « J’ai indiqué trésorier pour Woerth », a indiqué la comptable lors d’une confrontation avec Maistre le 8 juin dernier. « Quelques jours auparavant, M. de Maistre qui était dans les bureaux de Clymène (société gérant les actifs de Mme Bettencourt - ndlr) où j’étais présente, est venu me trouver pour me demander 150 000 euros, a-t-elle relaté une nouvelle fois. M. de Maistre n’avait pas accès à ma caisse. Je lui ai demandé, c’est pour quoi faire ? Il m’a dit que c’était pour Woerth. »
L’accréditif dont disposait la comptable sur le compte bancaire BNP à Paris était plafonné à 50 000 euros. Elle refuse d’aller au-delà et les 50 000 euros sont effectivement retirés le 17 janvier 2007, et remis le lendemain 18 janvier à Maistre.
« M. de Maistre avait un rendez-vous avec Mme Liliane Bettencourt car Mme Liliane Bettencourt devait lui remettre l’argent. J’ai remis la somme de 50 000 euros car j’étais présente à ce rendez-vous. Mme Bettencourt avait souhaité que je reste dans le salon rond où M. de Maistre devait se trouver car elle m’avait dit qu’elle ne s’en souviendrait plus et qu’elle ne voulait pas que ça reste dans le bureau des secrétaires. J’ai moi-même remis l’enveloppe à Mme Liliane Bettencourt qui l’a elle-même remise à M. de Maistre et je suis partie », a précisé la comptable.
Le juge à Maistre : «Vous avez menti au sujet des comptes en Suisse»
Ce jour-là, Maistre aurait confié à Thibout qu’il verrait Woerth le lendemain. Le 19 janvier, il rencontre de fait le « trésorier ». L'homme de confiance de Liliane Bettencourt aurait aussi laissé entendre à la comptable croisée dans un couloir chez Clymène, qu’il avait pu réunir la somme qu’il espérait. « Je confirme qu’il m’a dit ''c’est bien pratique d’avoir des comptes en Suisse'' », souligne Claire Thibout. Mais l’argent aurait été remis en février.
Se tournant vers l’ancien gestionnaire de fortune, le 8 juin, le juge Gentil résume l’enquête : « Il ressort des investigations entreprises que vous êtes bien allé en Suisse à cette époque, que vous y avez rencontré Me Merkt lequel disposait de la faculté de faire transférer de l’argent en espèces d’un compte de Mme Liliane Bettencourt ouvert en Suisse jusqu’à son domicile par un système de mise à disposition. »

Le magistrat accuse aussi : « Vous avez menti lorsque vous avez déclaré n’avoir jamais eu connaissance de comptes en Suisse avant 2009, jusqu’à ce qu’on vous présente le tableau fourni par l’organisme de compensation, lequel fait état d’un retrait d’espèces le 5 février 2007, d’un montant de 400 000 euros quelques jours avant un deuxième rendez-vous que vous avez eu avec M. Éric Woerth dans les même conditions que le rendez-vous du 18 janvier. »
Maistre, dépité : « Je n’ai jamais remis cet argent à M. Woerth. »
Les investigations réalisées en Suisse démontrent que « les déclarations de Patrice de Maistre sont fausses », résume encore le juge devant Woerth, et que ce dernier « s’est rendu à Genève le 28 janvier 2007 pour rencontrer Me Merkt afin de faire transférer du 5 février 2007 au 7 décembre 2009 des espèces d’un compte suisse de Liliane Bettencourt à son domicile de Neuilly ».
Le système de rapatriement d’espèces, assuré par la société Cofinor, avait été « mis en place à la demande exclusive de Patrice de Maistre », il « n’avait jamais été utilisé auparavant par André ou Liliane Bettencourt qui avaient largement les moyens de payer les éventuelles dépenses pour de tels montants avec leurs comptes en France ». Maistre voulait « rendre impossible la traçabilité de ces rapatriements », selon le magistrat.
Le 5 février 2007, Maistre récupérait une somme de 400 000 euros. Deux jours plus tard, il rencontrait Woerth. « Certes, il y a le 5 février 2007 et le 7 février 2007, mais c’est un concours de circonstances, a plaidé Woerth le 5 septembre. Et vu le tableau que vous m’avez présenté, il n’y a aucune autre date qui permette de tirer des conclusions. Je n’ai strictement rien à voir avec ses remises d’argent. »
L’ancien trésorier de l’UMP rapporte ses premiers rendez-vous avec le gérant de fortune. « J’ai rencontré Patrice de Maistre en 2006 pour parler de la campagne et de son financement, a exposé Woerth. Je l’ai rencontré à plusieurs reprises dans le cadre de réunions du Premier Cercle puisque celles-ci se sont tenues régulièrement à partir du lancement de la campagne. En qualité de président de l’association de financement de la campagne, j’animais ces réunions, et Patrice de Maistre a émis le souhait de me rencontrer afin de savoir comment y participer. Il connaissait beaucoup de monde, il pouvait participer au réseau de financement. Il était normal que je le rencontre. »
C’était dans un bar, mais il ne s’agissait pas « d’un rendez-vous suspect ». « Nous avons évoqué les idées de Nicolas Sarkozy, je crois même qu’il m’a remis une note sur le sujet, poursuit Woerth. C’est tout et j’ai continué à le voir. Il n’y a pas un sou d’argent liquide dans la campagne. »
«On pourrait en déduire qu’il y a eu une remise à titre personnel en faveur de M. Sarkozy »
Le système de remise d’espèces mis en place par Maistre a perduré, et 4 millions d’euros ont au total été livrés à Paris par Cofinor. Question du juge à Claire Thibout, le 5 septembre : «À votre avis, à quoi ont servi ces 4 millions d’euros à Mme Liliane Bettencourt et notamment les deux fois un million d’euros qui ont été livrés à une semaine d’intervalle le 2 décembre 2008 et le 8 décembre 2008.»
« Je ne sais pas à quoi cela a servi, répond la comptable. Ce qui m’étonne c’est que Mme Liliane Bettencourt n’avait plus la notion de l’argent surtout en raison du passage du franc à l’euro et en raison de sa maladie. Si elle avait besoin d’argent, elle me le demandait à moi. »
Devant Claire Thibout, Éric Woerth plaide une dernière fois : « Je veux juste rappeler qu’à un moment donné, Patrice de Maistre a fait une note destinée à André Bettencourt dans laquelle il reprend mes propos sur les conditions légales du financement de la campagne électorale. On sous-estime cette note. Le second élément, c’est qu’il y a eu des enregistrements et nulle part, malgré la liberté de ton de M. de Maistre, il ne fait référence à cette remise d’argent. »
L’ancien ministre utilise désormais les enregistrements pirates du maître d’hôtel comme moyen de défense... Ces derniers avaient été validés, en janvier dernier, par la Cour de cassation, qui a estimé qu’ils pouvaient « servir de fondement à des poursuites pénales ».
Le juge Jean-Michel Gentil admet la remarque, mais il poursuit :
L'ancien ministre du budget quittant l'Elysée© (DR)
Woerth, lacunaire : « Je n’ai pas d’explication à donner, je n’ai aucune idée sur cette mention, cela ne me concerne pas. Il n’y a pas de financement illégal de la campagne de M. Sarkozy. »
Le juge relance : « S’il n’y a pas de financement illégal, on pourrait peut-être en déduire de la mention de François-Marie Banier qu’il y aurait eu une remise à titre personnel en faveur de M. Sarkozy. Qu’en pensez-vous ? »
« Que voulez-vous que je réponde ? C‘est pure spéculation. Cette campagne a été financée légalement comme je vous l’ai indiqué. »
De même, la livraison à Paris à deux reprises d’un million d’euros à une semaine d’intervalle en décembre 2008 intrigue les enquêteurs. En effet, Nicolas Sarkozy avait reçu à l’Élysée, les 5 et 13 novembre 2008, Liliane Bettencourt puis Patrice de Maistre. Officiellement, pour les entretenir de la plainte pour abus de faiblesse déposée par la fille de la milliardaire, François Bettencourt-Meyers, en septembre 2007. Cette plainte qui sera classée sans suite en septembre 2009 par le procureur de Nanterre.
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