La défense de Nicolas Sarkozy est habituelle chez les hommes politiques : il serait absurde de mettre en doute la légalité du financement de sa campagne de 2007, puisqu’une Commission de contrôle a tout vérifié. Cela vaudrait pour l'argent libyen comme pour l'argent de Liliane Bettencourt. Ce week-end, François Fillon l'a martelé : « Cinquante millions auraient été versés pour financer une campagne qui en a coûté 20, dont les comptes sont connus, dont les comptes ont été vérifiés, dont chacune des dépenses et chacune des recettes peut être vérifiée?! » L'argument est le même dans la bouche de Nathalie Kosciusko-Morizet, porte-parole de Nicolas Sarkozy : « Il s'agit d'imaginer un financement libyen de 50 millions d'euros, dans une campagne électorale dont les comptes sont plafonnés à 22 millions d'euros, a-t-elle ironisé. Des comptes qui ont par ailleurs été validés par le Conseil constitutionnel et n'ont donné lieu à aucune contestation. »
En réalité, ces comptes n'ont jamais été validés par le Conseil constitutionnel. Depuis 2007, il se contente de proclamer l'élection. C'est désormais une autorité administrative indépendante, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) qui examine les flux d'argent des candidats.
Les contrôle-t-elle vraiment pour autant ? Les investigations du juge Gentil dans l'affaire Bettencourt comme les révélations de Mediapart sur un possible financement libyen dévoilent les limites d’une commission tenue de se fier, en grande partie, à la bonne foi des candidats. En réalité, les pouvoirs de cette commission sont très limités.
Sans l’affaire Karachi, sans l’enquête des juges Van Ruymbeke et Le Loire, nous ne saurions toujours pas aujourd’hui que les comptes de campagne de Jacques Chirac et d’Edouard Balladur étaient truqués lors de l’élection présidentielle de 1995. René Galy-Dejean, alors trésorier de la campagne d'Edouard Balladur, l'a d'ailleurs reconnu lui-même en accusant ce dernier et son ex-directeur de campagne Nicolas Bazire de lui avoir caché l'origine de 7 millions de francs déposés en espèces à la banque.
A l’époque, le Conseil constitutionnel avait validé ces comptes, comme l’a raconté Mediapart. Aujourd'hui, rien ne garantit que la campagne de 2007 ait été plus propre. Ni que celle de 2012 le soit.

Si un juge indépendant enquête sur d'éventuels versements libyens, il risque d'avoir toutes les peines du monde à trouver les traces d'une escroquerie dans les comptes de campagne 2007 du candidat Sarkozy. Par définition, les paiements «au noir» à des prestataires n'apparaissent pas, et sont difficilement traçables.
Mais au moins ce juge disposerait-il des moyens d’investigation nécessaires. Tout comme le juge Gentil dans l'affaire Bettencourt, il pourrait perquisitionner chez les prestataires du candidat (l’imprimeur, le traiteur, le propriétaire d’une salle, etc.) pour savoir si une partie des frais a été versée sans être déclarée. Le genre de pratiques qui permet au candidat de ne pas dépasser les plafonds de dépenses autorisés par la loi. Et de ne pas avoir à justifier l’origine des fonds.
Trouverait-il des éléments suffisants pour permettre d'expliquer un tel différentiel entre le montant officiel d'une campagne (environ 20 millions d'euros) et la somme de 50 millions que prévoyait de verser le régime libyen ? Rien n'est moins sûr. Si l'argent a été versé, et au vu de l'énormité du montant, on peut supposer qu'il s'attacherait à vérifier les flux sur d'autres comptes en banque, qu'ils soient personnels ou de partis politiques. Selon l'intermédiaire Ziad Takieddine, mis en examen dans le dossier Karachi, « il paraît plus difficile à croire que cette somme ait pu être utilisée en 2007 pour la campagne. Je pense qu'il faut plutôt s'orienter vers de l'enrichissement personnel. Se demander dans quelle poche est allé cet argent ».
Nicolas Sarkozy a dépensé moins de 530 000 euros de sondages en 2007
La CNCCFP, elle, n'enquête quasiment sur rien. Parce qu’elle n’en a ni les pouvoirs, ni les moyens. En 2007, s’agissant du compte de Nicolas Sarkozy, elle n’a fait que des remarques mineures. Côté dépenses, elle a retoqué quelque 50 000 euros correspondant à des repas servis au QG de campagne mais sans caractère électoral, 3 000 euros pour le détour fait par un avion afin d'embarquer une personnalité politique, 23 000 euros de frais de maquillage jugés excessifs.
Côté recettes, la Commission a tiqué sur trois dons ayant dépassé le seuil des 7 500 euros. Et au bout du compte, seulement retranché 13 800 euros du montant remboursé par l’Etat. Voilà qui permet à la Commission de rappeler qu’elle existe.
Car pour le reste, la CNCCFP se base essentiellement sur ce qu’elle voit : des factures et des devis présentés en bon ordre par les candidats. Elle peut constater, au vu des articles de presse ou grâce à des émissaires envoyés sur le terrain (la commission ne précise pas combien d’«inspecteurs» se déplacent au cours d’une campagne), que le prix d’une location de salle n’apparaît pas dans les comptes. Ou qu’aucune facture de traiteur n’apparaît pour tel ou tel banquet de campagne. Mais de telles «omissions» sont improbables, pour ne pas dire plus, de la part des candidats.
En revanche, comment pourrait-elle savoir si un candidat s’est offert sous le manteau un sondage ou des conseils en stratégie ? Comment s’assurer que des études ne sont pas réalisées gratuitement contre des promesses de futures commandes en cas d’accession à l’Elysée ? Officiellement, rappelons que Nicolas Sarkozy a dépensé moins de 530 000 euros de sondages lors de la campagne de 2007 (contre plus de 830 000 pour sa rivale socialiste). A environ 10 000 euros le sondage de base, Nicolas Sarkoy et l’UMP n’auraient donc commandé qu’une cinquantaine d’études en cinq mois de campagne.


Presque aussi difficile à repérer : les sous-facturations, ou les sur-facturations. Comment être certain qu’un candidat de premier plan, soucieux de ne pas dépasser les plafonds, n’a pas demandé à son imprimeur de sous-facturer ses tracts ? Et complété par de l’argent liquide non officiel.
A l’inverse, un petit candidat aura plutôt la tentation de “bourrer” ses comptes. Il sait qu’il a le droit de se faire rembourser un certain montant par l’Etat : dans ces conditions, pourquoi ne pas acheter un écran plat (la commission peut difficilement arguer que cela ne sert pas pendant une campagne). Cela lui sera remboursé. Et l’écran pourra continuer de servir au parti après la campagne.
Dans toutes ces situations, la commission est quasiment impuissante. Elle ne peut pas attendre grand-chose des experts-comptables qui présentent les comptes des candidats ; ils sont souvent très proches des partis pour lesquels ils travaillent. L’expert-comptable du compte Sarkozy de 2007, Bernard Godet, a même été décoré le 13 juillet 2008 de la Légion d'honneur sur le contingent du ministre du budget d'alors, Eric Woerth.
La Commission ne peut pas compter les petits fours, ni le nombre de tracts distribués à travers la France, ni éplucher les comptes des prestataires, ni placer des hommes à la frontière suisse afin qu’ils ouvrent les coffres des voitures. Elle ne peut pas plus contrôler l’origine ou le montant des dons en liquide versés dans des urnes lors des meetings, qui sont censés ne pas dépasser 150 euros, sans qu’aucun reçu ne soit délivré en échange.
Les deux rapporteurs missionnés pour chaque candidat (épaulés par quelques chargés de mission) ont déjà bien assez à faire avec les 27 cartons de factures livrés par exemple par l’équipe Sarkozy en 2007.
Que se passerait-il si de graves irrégularités étaient constatées ?
En écho aux investigations menées sur l’affaire Bettencourt, François Bayrou puis François Hollande ont tous deux proposé pendant la campagne d’interdire les dons des particuliers. «Pour qu'on soit sûr qu'aucun argent, y compris des particuliers, puisqu'il y en a de plus riches que d'autres, ne puisse venir troubler la transparence et la clarté de ces financements», a expliqué le candidat socialiste.
Afin d’empêcher des grandes fortunes de financer la campagne d’un candidat dans de trop grandes proportions (en espérant des contreparties), un plafond a déjà été fixé par la loi, qui limite les dons à 4 600 euros par personne (+ 7 500 euros par an à un parti politique).
Mais là aussi, des contournements sont pour l'instant possibles. Un très gros contributeur du Premier Cercle (qui réunit les généreux donateurs de l’UMP) nous a avoué, sous le sceau de l’anonymat, qu’en 2007, il avait lui-même demandé à de «nombreux» proches de faire un don de 7 500 euros au parti de Nicolas Sarkozy. Et qu’il les avait ensuite remboursés, de façon non officielle. C’est tout bénéfice pour ces amis: les dons aux formations politiques sont défiscalisés à hauteur de 66 % !
Depuis 1995, les entreprises n’ont plus le droit de faire de chèques aux candidats. Selon François Bayrou et François Hollande, qui n’en apportent cependant pas la preuve, des dirigeants demandent à des cadres de confiance de faire un versement. Avant de les rembourser.
Interdire les dons de particuliers résoudrait peut-être les tours de passe-passe de ce genre, face auxquels la CNCCFP se montre impuissante. Cela ne garantirait pas pour autant la sincérité des comptes déposés par les candidats.
Il faudrait qu’un candidat sorte complètement des clous pour que les rapporteurs s’en aperçoivent, et qu’ils en fassent la remarque. Mais quel sort serait réservé à leurs observations ? Le même qu’à celui des rapporteurs du Conseil constitutionnel en 1995 ?

A l’époque, Roland Dumas, son président, avait jugé que malgré les irrégularités du compte Chirac, le Conseil ne pouvait rendre ces observations publiques et ainsi ternir la victoire d’un président choisi par une majorité d’électeurs français. Si le Conseil constitutionnel n’avait pas l’autorité nécessaire, que dire de la Commission nationale des comptes de campagne, dont personne ou presque ne connaît l’existence ?
Si l'on va plus loin, quelle est la logique d’un contrôle postérieur à l’élection présidentielle, dès lors qu'on considère comme trop «dangereux» de salir le nouveau président ?
Le président de la Commision, François Logerot, ancien président de la Cour des comptes, est un homme discret. Il ne se plaint pas publiquement des trop faibles moyens dont dispose sa commission. Sauf quand il s’agit de répondre aux questions des journalistes. Mediapart a mis plus d’un an avant de pouvoir consulter les comptes de campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy alors que nous en avons fait la demande à l’été 2010, au moment de l’affaire Bettencourt, quand il nous est apparu que les lois du début des années 1990 n’avaient nullement résolu la question du financement de la vie politique.
La commission nous a expliqué qu’au vu de ses faibles effectifs, elle ne pouvait aller plus vite pour rendre illisibles les données personnelles des candidats ou de leurs équipes apparaissant dans leurs documents. De son propre fait, elle n’avait pas entamé ce travail dès après l’élection de 2007, pour que chaque citoyen qui le désire (et qui y a droit) puisse consulter ces comptes.
Quant à ceux de François Bayrou et de Ségolène Royal, nous n’y avons eu accès qu'il y a quelques semaines, à quelques jours de l’élection présidentielle de 2012.
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